mardi 26 février 2013

Françoise Hardy et l'Olympia (2ème extrait)

En janvier 1964, Françoise Hardy faisait la couverture du magazine Musica à l'occasion de son récent passage à l'Olympia. Raymond Mouly lui consacrait un article laudateur.

Elle était pour les plus de trente ans une sorte de néo-Gréco qui aurait chanté juste du premier coup. Les teenagers, eux, étaient plus réservés. "Elle n'est ni rock, ni twist, elle croule", disaient-ils. Pourtant, quand les magazines hebdomadaires à l'usage des adultes eurent épuisé le pittoresque du sujet Hardy, souligné que son art tendait à redonner à la chanson française sa dignité perdue, insisté sur le fait qu'aux futurs récitals de cette chanteuses on n’aurait jamais à déplorer le moindre bris de fauteuil, ils revinrent à leurs familles princières favorites et oublièrent Françoise pendant un an. Cette durée de temps suffit aux jeunes pour acheter deux millions et demi des disques de Françoise Hardy. Ils l’avaient reconnue pour une des leurs, et finalement ne la trouvaient pas aussi "réactionnaire" qu'ils l’avaient supposé de prime abord.

Françoise Hardy - Olympia

Et elle, pendant des mois, miraculeuse de séduction non apprise, riche à millions d'inexpérience scénique, irrésistiblement attirante à force de gestes malhabiles, promena sa désinvolte silhouette longiligne sur les places des provinces. Chaque soir de cette longue tournée, cinq ou six cents fans nouveaux la trouvaient belle, l'écoutaient avec un recueillement inhabituel, sentaient la parfaite harmonie entre la personnalité de cette jeune fille à la fois romantique et sauvage et toute une part secrète d'eux-mêmes. Ils disaient : "On croit à ce qu'elle chante." Cela signifiait : elle met en chansons une démarche de la pensée qui est aussi la nôtre, elle exprime sans apprêt ni convention les purs sentiments que nous éprouvons sans même les formuler. Bref, ils l'acceptaient parce qu'elle venait à eux par la seule voie sur quoi se fonde la vraie popularité : celle du cœur.

samedi 23 février 2013

La musique ne peut pas tricher (3ème extrait)

En 2005 Françoise Hardy accordait une interview à Cécile Wajsbrot pour la revue annuelle Fusées.

Cécile Wajsbrot : "C'est cela qui fait le prix de vos chansons, leur caractère unique dans notre paysage. Derrière chaque sentiment exprimé, on sent quelque chose de vécu, d'éprouvé, en même temps, vous ne livrez pas une matière brute mais raffinée, travaillée - le sens de toute création artistique - mais c'est si rare. Dans une chanson comme Un homme est mort, l'empathie envers la souffrance des autres, les victimes d’attentats, en l'occurrence, se dit en termes sobres et d'autant plus forts. Lorsque vous écrivez un texte de ce genre - ou de façon générale - avez-vous davantage le désir d'exprimer ou celui de transmettre - à moins que les deux ne soient indissociables ?"

Françoise Hardy

Françoise Hardy : "Lorsque j'écris un texte quel qu'il soit, j'essaie toujours d'exprimer une émotion au plus près de ce que j'en ressens et de ce que les contraintes mélodiques et rythmiques me permettent. Pour Un homme est mort, dont je n'ai fait qu’adapter le texte original de Jose Maria Cano (du groupe espagnol Meccano), j'avais en tête la mort récente d'un adolescent poignardé par un autre dans la région de Marseille et dont le père était arrivé sur les lieux du drame recueillir son dernier soupir. J'avais été autant bouleversée par le fait lui-même que par la dignité de ce père qui, tout en dominant mal son chagrin (et comment aurait-il pu en être autrement), demandait de ne pas céder à la haine vis-à-vis du meurtrier et de sa communauté.
Je n'ai pas spécialement envie d'exprimer, encore moins de transmettre quoi que ce soit. Les mots ne sont pas grand-chose, la mélodie est tout. Mon désir est avant tout de servir la mélodie, de trouver des mots qui soient en adéquation avec elle, d'exprimer une émotion qui n'en trahisse pas l'esprit."

mardi 19 février 2013

Françoise Hardy dans Platine n°190 (2ème extrait)

Pour la sortie de l'album L'amour fou, Eric Chemouny s'entretenait avec Françoise Hardy dans Platine (numéro 190 de novembre / décembre 2012).

Eric Chemouny : "Les passages parlés sur ce titre (L'amour fou) exigent quasiment un talent d’actrice... Avez-vous dû vous y reprendre à plusieurs fois ?"

Françoise Hardy :
"Oui, mais pas trop finalement. il fallait juste se montrer un peu excédée par cette comtesse qui pense à se faire belle, alors que son amant se meurt."

Eric Chemouny : "Il paraît que vous avez commencé le roman il y a une trentaine d'années..."

Françoise Hardy :
"Oui, mais je ne l'ai pas commencé en imaginant en faire un roman. C'était pour moi une forme de récit, commencé il y a fort longtemps, sur lequel je revenais tous les deux ou trois ans, pour le remanier formellement, autant que je pouvais."

Françoise Hardy

Eric Chemouny : "Avez-vous d'autres ébauches de livres dans vos tiroirs ?"

Françoise Hardy :
"Non, pas du tout."

Eric Chemouny : "On peut difficilement ne pas voir en son héroïne une sorte de double de vous-même : aviez-vous le sentiment de ne pas avoir déjà tout dit de votre vie sentimentale en chansons ?"

Françoise Hardy :
"C'est vrai, mais je ressentais vraiment ce besoin d'avoir une forme d’accroche. En même temps, Marc Maréchal, directeur promo de ma maison de disques, m’a fait valoir que je fêtais mes cinquante ans de carrière cette année. J'ai pensé que cela justifiait cette publication, qui constitue la synthèse des quelques histoires que j’ai vécues dans ma vie, comme une sorte de matrice de tous les textes que j'ai écrits. Tous ont trouvé leur source dans cette histoire. Je pourrais vous citer la partie parlée de "Message personnel", par exemple, qui trouve un écho dans ce livre."

samedi 16 février 2013

Françoise Hardy répond à The Independent (7ème extrait)

Le 5 février 2005, paraissait une interview de Françoise Hardy accordée au journal The Independent.

Sur le nouvel album de Hardy, Tant de belles choses, les chansons sont à tour de rôle nettement mélancoliques ou sources de baume au cœur. Le fil conducteur qui les relie est sa voix pleine de classe et d'assurance, qu'on retrouve à la fois dans certaines chansons aux arrangements trip-hop, dans d'autres, classiques, acoustiques, avec du jazz en toile de fond. Son mari et son fils, tous deux guitaristes accomplis, donnent un coup de main, tout comme l'auteur-compositeur irlandais Perry Blake et l'auteur-compositeur anglais Ben Christophers. Tout compte fait, c'est un travail sophistiqué, exécuté par une femme aux pouvoirs de créativité demeurés intacts.

L'un des thèmes principaux de l'album est la tragédie de l'amour, à l'instar de la chanson-titre qui relate l'adieu d'une femme mourante à son amant, ce qui n'est pas toujours d'une écoute facile. Le remarquable titre "Sur quel volcan?" se focalise en partie sur "l'atteinte de nos limites en termes de pollution de la planète", mais fait également allusion à "une histoire d'amour caché qui serait destructrice si les gens venaient à la découvrir". Ce n'est que sur le chemin du retour par l'Eurostar qu'il me vient à l'esprit que j'aurais dû demander à Hardy si la chanson évoque sa propre aventure avec le mystérieux "jeune acteur britannique" qu'elle a mentionné plus tôt.

Françoise Hardy - Tant de belles choses

Texte original : On Hardy's new album, Tant De Belles Choses, the songs are starkly melancholic or sweetly heart-warming by turns. The thread that binds is her classy, assured vocal delivery, set against in some songs, trip-hop arrangements, in others, a traditional, acoustic-jazz backdrop. Her husband and son, both accomplished guitarists, lend a hand, as do the Irish songwriter Perry Blake, and the English songwriter Ben Christophers. All told, it's a sophisticated, affecting work by a woman whose creative powers are undiminished. One of the album's key themes is the tragedy of amour, and with the title track documenting a dying woman's farewell to her lover, it's not always an easy listen. The stand-out track "Sur Quel Volcan?" ("On Which Volcano?") partly concerns "reaching our limits in terms of polluting the planet", but also alludes to "a hidden love affair that would be destructive if people were to find out about it". Only on the Eurostar home does it occur to me that I should have asked Hardy if the song is about her own tryst with the mysterious "young British actor" she mentioned earlier.

mardi 12 février 2013

Françoise Hardy dans "Femme de, fille de" (dernier extrait)

En 2005 Valérie Domain nous proposait les portraits de femmes d'influence dans son livre Femmes de, Filles de. Un chapitre était consacré à Françoise Hardy.

Avec Françoise, la parole est sans fin, les mots n'ont pas de limite, la conversation est vive et directe. Rien d’étonnant alors à ce qu'on ait autant de mal à la quitter. Avec elle, on aimerait aborder tous les sujets, elle a réponse à tout, elle ne décortique rien, a déjà tout analysé. Elle est le naturel incarné. Françoise fonctionne à l’instinct. Elle vous offre sa confiance puis vous la retire aussitôt. Et de vous étonner avec son discours franc, ses réflexions à l'emporte-pièce. Vous étiez arrivé avec une rose, elle vous a jeté un merci lunaire, vous félicitant de ne pas avoir choisi un bouquet car elle n'a pas de grands vases. Ça lui rappelle ces invités qui vous offrent une énorme gerbe de fleurs dont vous ne savez que faire quand vous êtes déjà tellement occupée à préparer le dîner : "Qu'est-ce que ça m'agace !" soupire-t-elle, excédée.

Françoise Hardy

Puis, lorsque vous lui confiez à quel point vous êtes ravie qu'elle ait accepté de vous recevoir aussi spontanément, elle vous lance un : " Je devais être de bonne humeur ! ", suivi de son rire de gorge. Et vous repensez à tout cela, debout devant le vieux perroquet en bois à côté de la porte blindée, hésitant entre la bise amicale et la poignée de main professionnelle. Ce sera la seconde option, choisie par une maîtresse de maison qui, vous le sentez, a maintenant hâte de retourner à ses occupations quotidiennes. Où il y a tant de belles choses. Encore.

samedi 9 février 2013

Françoise hardy dans "20 ans" (1er extrait)

En février 1967, Françoise Hardy se confiait à F. Vergnaud pour 20 ans dans un article intitulé L'étrange aveu de Françoise Hardy....

Un mélange de gaucherie timide et de tendre féminité, une allure de jeune poulain et la grâce de Loreleï : voilà Françoise Hardy. Elle arrive très à l'heure... Nous nous sommes donné rendez-vous au studio, où elle doit poser pour la couverture de "20 Ans".... Elle fonce directement dans la cabine de maquillage, s'y engouffre. Je la suis, je l'observe : son pantalon marine colle nerveusement à ses hanches, son blouson d'aviateur lui donne un petit air bourru d'adolescent bien décidé à ne pas sourire, à ne pas dire un mot ! Elle balance du revers de la main les mèches longues, blondes, très raides de ses cheveux... Elle est belle, un peu pâle, sans poudre, sans rien sur les yeux, nature. Celui qui l’aime pourrait lui chuchoter : "Je te préfère ainsi... avec ton vrai visage lisse, ton vrai regard bleu..."

Françoise Hardy

De toutes nos chanteuses "dans le vent", c'est elle qui a le mieux réussi à conquérir le cœur des juniors et celui, plus endurci, des aînés...
Tous, nous sommes attendris par cette mystérieuse grande fille qui, contre rock et marées, contre jerk et L.S.D., chante toujours l'amour enfui, les nuages, l'amie la rose... Sa popularité ne l'impressionne pas. Françoise, c'est avant tout la simplicité. Elle me prévient tout de suite : elle est épuisée, elle a envie de dormir, elle se sent moche, elle a un bouton sur le menton... Bon ! Je veux savoir, quoi encore ?

mardi 5 février 2013

Françoise Hardy & Michel Houellebecq (Astrologie Naturelle extrait 2)

En mai 1999, Françoise Hardy faisait le thème astrologique de Michel Houellebecq pour la revue Astrologie Naturelle.

Françoise Hardy : La valorisation dans un ciel natal de Saturne, Pluton et Mercure, prédispose à être du type libre penseur, observateur, distancié, critique, contestataire, démystificateur, attiré par la complexité, plus à l'aise dans le monde des idées, de l'abstraction que dans celui des sentiments et des réalités matérielles... Vous dites que c'est important d'être lucide, tout en plaçant la bonté, l'amour désintéressé au dessus de tout : seriez vous aussi doué pour la bonté que pour la lucidité ?
Michel Houellebecq : Non. Je ne suis pas très doué pour la bonté.

Françoise Hardy : Vous vous reconnaissez pourtant dans la compassion que l'on prête aux Poissons...
Michel Houellebecq : J'ai épousé ma femme pour sa bonté mais comme je ne suis pas quelqu'un de bon, j'ai un profond respect pour cette qualité là. Je ne crois pas que je sois capable d'aimer les gens mais je suis capable de compassion. En fait pour s'attacher vraiment à moi, il faut éveiller ma compassion. C'est très Poissons...

Françoise Hardy :Certaines femmes sont attirées par l'aspect oiseau blessé d'une personnalité. tout en ayant tendance à surévaluer leur pouvoir de guérison et sans s'attendre à ce que l'oiseau blessé les maltraite, justement parce qu'il a subi un mal irréparable. Vous est il arrivé de fuir ou piétiner l'amour que l'on vous manifestait ?
Michel Houellebecq : Je ne suis jamais cruel mais je peux me rendre insupportable à force de geignardise pour tester la capacité de résistance et d'amour de l'autre. Je peux exercer sans scrupule un immonde chantage affectif qui fait d'ailleurs craquer la plupart des femmes, en me montrant plus bas que tout, parce que j'ai besoin de savoir jusqu'où on va pouvoir me supporter. Mais je vais devoir changer un peu ma stratégie car je suis devenu une vedette et qu'on plaint un peu moins une vedette... Je ne suis plus vraiment crédible en raté, en minable, en désargenté etc... J¹ai plus de mal à me faire plaindre maintenant... A moins que je tombe très malade... (Rires.)

Françoise Hardy et Michel Houellebecq

Françoise Hardy : D'après votre ciel où Mars, Vénus et Neptune ne font pas partie de vos dominantes, la fonction sensation n'est pas ce qui devrait prévaloir chez vous. On pourrait même avec la dissonance Lune Pluton parler d'un rapport plus ou moins problématique au corps, d'une certaine impossibilité à fusionner...
Michel Houellebecq : Je n'ai probablement pas un rapport idéal à mon corps, mais l'appétit sexuel est quelque chose d'assez fort chez moi et je connais l'état fusionnel chaque fois que je fais l¹amour.

Françoise Hardy : Pardon d'insister, bien qu'un ciel de naissance ne dévoile pas tout, tant s'en faut, le vôtre va dans le sens d'une grande distanciation intellectuelle vis à vis des désirs et des affects...
Michel Houellebecq : C'est vrai aussi. Il y a des périodes où je m'en fiche complètement... D'autres où je suis extrêmement participant... Il m'est arrivé de me demander si ce n'était pas dû aux saisons... si je n'avais pas des périodes de rut comme les animaux... Et puis, je peux avoir des moments de retrait total... Il y a en moi à la fois un peu du Bruno des Particules élémentaires, totalement tributaire de ses désirs, et un peu du Michel qui en est totalement dépourvu... Je vais vous dire quelque chose de très important...

Françoise Hardy : Il était temps...
Michel Houellebecq : J'aime les femmes... (Silence). Mais au fond je m'en fous et je ne suis jamais devenu fou pour une femme...

samedi 2 février 2013

Françoise Hardy et l'Olympia (1er extrait)

En janvier 1964, Françoise Hardy faisait la couverture du magazine Musica à l'occasion de son récent passage à l'Olympia. Raymond Mouly lui consacrait un article laudateur.

Dans le métier de la chanson, Olympia peut très bien rimer avec Austerlitz ou avec Waterloo. Françoise Hardy le savait bien, qui jouait une partie difficile en se présentant le 7 novembre, pour la première fois de sa vie, sur la scène du boulevard des Capucines. De cet opéra du rock (si proche de l'autre géographiquement du moins), on ne sort que triomphant ou défait. Les demi-succès et les demi-échecs y sont inconnus, surtout quand on a déjà un nom et un passé. Or Françoise a l'un et l'autre.

Françoise Hardy - Olympia

Avant de flamboyer en lettre de néon sur la façade du plus grand music-hall parisien, son nom _ si propre à suggérer l'enthousiasme d'un jeune talent qu'on le prendrait volontiers pour un pseudonyme _ s'est d'abord inscrit avec une belle régularité dans les listes de best-sellers du disque. La première fois, c'était en novembre 1962. Elle venait d’enregistrer "Tous les garçons et les filles", et tout le monde disait, en jargon du métier, que "ça accrochait". Paradoxalement, cette poétesse de dix-huit ans, qui composait ses mélodies, rédigeait ses couplets, interprétait ses chansons _ et aurait même pu s'accompagner à la guitare si le genre défini par cet accessoire n'avait été depuis longtemps déconsidéré par l’abusive prolifération des intellectuels mal débarbouillés de la rive gauche _ fit d’abord impression sur les auditeurs d'âge mûr. Elle les rassurait. Elle chantait des histoires cohérentes, répugnait à l'onomatopée, trouvait pour ses phrases des scansions sages, réglait l'insolence de ses textes à la dose homéopathique.