mardi 24 octobre 2017

Août 2000 - Chantant de solitude (Libération) - Partie 1

Portrait
Chantant de solitude
Par Marie-Dominique Lelièvre
Le 16 août 2000 pour Libération

La baie vitrée en demi-lune découpe un paysage liquide où mer et ciel ne se distinguent que par des nuances de gris. Il pleut sur Calvi et sur les vacances corses de Françoise Hardy. «Je suis une citadine névrosée», dit-elle en riant, rêvant d'un été à Paris. Elle croise ses mocassins blancs sur l'ardoise noire du sol, les glisse sous la table Knoll.

Le matin, Françoise Hardy travaille : sur son e-book elle rédige un article pour une revue astrologique tirée à 100 exemplaires. Sur Josette Clotis, l'amour tragique d'André Malraux. L'astrologie, elle l'a étudiée comme d'autres la psychologie.
L'après-midi, elle lit « des choses difficiles» au fond du jardin. Le Journal de Gide, une bio de Malraux, à la recherche d'éléments biographiques. A l'ombre, comme l'expriment son teint naphtaline et ses jambes si pâles qu'on les croit d'abord gainées de bas ivoire. Une femme d'intérieur, en somme.

Le soir, au lit, elle dévore des Agatha Christie. « C'est ça, les vacances. Relire des romans policiers. L'été dernier, c'était Mary Higgins Clark. »

Les disques d'été, elle les écoute en boucle. Des mœurs adolescentes, en somme. Coldplay, un groupe anglais, elle ne s'en lasse pas, un seul morceau, We never change. L'histoire d'un type qui veut aimer la même femme, toujours. « C'est simple, irrésistible, pur, nostalgique. »

Elle rit, souvent, d'un rire qui sonne clair. Tout à l'heure, lorsqu'elle a ouvert la porte, elle a dit : « Essuyez vos pieds.» Cela semblait une farce, cette proposition dans la bouche d'une princesse pop.

A l'extérieur, un trio de vacanciers juchés sur un muret tentait de photographier la maison, malgré la pluie et le portail de fer. « Je déteste les vacances, mais rentrer c'est la joie. »

Enfant, Françoise passait des vacances sans sa mère, Madeleine. « J'ai eu pour elle des sentiments démesurés. L'adieu sur le quai de la gare était un déchirement. Puis j'attendais. Que les vacances passent. Que le facteur passe avec une lettre d'elle. »
Françoise aime et souffre pour deux. Elle n'a pas vraiment eu de père. Du haut de son mètre 78, cette mère au physique époustouflant tenait les hommes à distance. « Je la voyais très belle et elle l'était. » Françoise Hardy use de phrases exactes, d'une syntaxe de précision. Sauvage et solitaire, sa mère avait eu deux filles avec un homme indisponible. « Jamais de sa vie elle ne passa une nuit complète avec un homme », dit-elle. Durant l'Occupation, Madeleine renvoyait son amant en plein couvre-feu. « Mon père venait d'une grande famille, elle avait été éblouie par son milieu, plus que par lui. »

1 commentaire:

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