mardi 22 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 6

Michel FIELD : Alors ...

Françoise HARDY : Il me semble que le masochisme, c’est rechercher la souffrance et je crois que j’ai toujours eu avant tout - inconsciemment bien sûr dans un premier temps, maintenant c’est plus conscient -, j’ai surtout eu un besoin d’intensité. Et donc ce besoin d’intensité qui est satisfait par les états de désir - et évidemment, pour qu’il y ait désir il faut qu’il y ait une certaine distance de la part de l’autre, on ne peut pas désirer ce qui est à vos pieds - c’est plutôt ce que j’ai plus ou moins inconsciemment recherché, ce que mes besoins m’ont amenée à vivre. Mais je ne crois pas que ce soit une recherche de souffrance parce qu’en fait, l’état de désir est un moteur, ça a toujours été pour moi un moteur important, qui n’est pas dénué de souffrance, parce qu’on ne peut pas vivre des situations d’amour-désir sans qu’il y ait souffrance, c’est lié, mais ça n’est pas forcément du masochisme. Le masochisme pour moi, c’est simplement rechercher la souffrance et quand je suis dans des situations de vraie souffrance - pas dans celle qui accompagne fatalement, inévitablement toute situation amoureuse basée en grande partie sur le désir - quand je suis dans ces états de vraie souffrance, je suis paralysée, bloquée, il n’y a plus de moteur du tout ...

Michel FIELD : Pourquoi être attirée par le pôle du dominé ?
Françoise HARDY : Peut-être parce que je suis une femme ! Peut-être parce que c’est plus souvent féminin que masculin d’être attirée par ça. Je ne sais pas ... je réponds un peu n’importe quoi.

Michel FIELD : On peut imaginer que l’intensité est la même des deux côtés ?

Françoise HARDY : Je ne crois pas, je crois qu’il y a plus d’intensité - a priori - à être dans l’incertitude, à être la personne qui attend, qui est, d’une certaine manière dirigée, qui ne sait pas ce qui va se passer, plutôt que celui qui dirige, qui a probablement un plan, qui sait où il va, ce qu’il va faire. Ça me semble moins intéressant a priori, mais bon je ne connais pas les excitations inhérentes au pôle dominant ... (l’intensité en rapport avec le pôle est une intensité liée au pouvoir et non à l’amour) 
Michel FIELD : Les situations d’intensité n’ont pas besoin du fouet. Pourquoi avez vous toujours eu un rapport aussi compliqué avec le public, avec la scène ?

Françoise HARDY : Je n’ai pas eu de rapports compliqués, je n’ai pas eu de rapport du tout.

Michel FIELD : On peut dire que c’est une question compliquée pour vous ?

Françoise HARDY : A priori, non. Je veux dire que la réponse qui me vient à l’esprit n’est pas compliquée. Pour moi le public est une abstraction comme tout ce qui est collectif d’ailleurs qui non seulement ne m’attire pas, mais encore me rebute un peu. Qu’est-ce que le collectif: un ensemble de personnes et chaque personne est différente de l’autre ... Alors bien sûr, dans un concert, dans une manifestation, on peut imaginer que les personnes qui sont là, sont liées par un intérêt commun, par exemple par une commune estime pour l’artiste qu’elles sont venues voir et entendre. Mais au-delà de ça, les gens sont tous très différents et les raisons qui les amènent à participer à telle manifestation, à venir à tel concert, peuvent être très différentes d’une personne à l’autre. Le public est donc quelque chose de trop vague ... Le rapport avec une seule personne m’intéresse plus, c’est à la fois plus facile et plus difficile. Quand on a une personne en face de soi, au moins c’est précis, et même si c’est très vaste à explorer, même si, parfois, une vie entière ne suffit pas à en faire le tour, au moins a-t-on quelque chose de concret en face de soi. Alors que le public, encore une fois, c’est abstrait.
Michel FIELD : Un artiste qui n’affronte pas le public, n’y a-t-il pas là un côté un peu lâche ?

Françoise HARDY : C’est le paradoxe de ce métier qui requiert des qualités complètement différentes pour faire, d’une part ce qui pour moi est le plus intéressant et le plus important: écrire, composer les chansons et les enregistrer, d’autre part pour les chanter sur scène. Il y a des tas de chansons qui m’importent énormément et je me passe complètement d’aller voir l’artiste sur scène. A l’inverse, il y a des artistes comme Johnny HALLYDAY - prenons cet exemple -, que j’ai été voir plusieurs fois sur scène et c’est un véritable bonheur quand, en plus, il a de bonnes chansons et que son spectacle est bien réalisé, ce qui lui arrive de temps à autre, c’est donc un véritable bonheur de le voir sur scène, mais je me passe de ses disques, je n’en ai quasiment aucun. Donc pour moi, ce sont deux activités ...

Michel FIELD : Ce n’est pas le même métier

Françoise HARDY : Ce n’est pas le même métier. Alors c’est parfait quand on tombe sur des artistes qui savent faire les deux, qui ont toutes les qualités requises, qui sont "complets" en quelque sorte, mais c’est assez rare finalement.

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