En 1988, Jean-Eric Perrin rencontrait Françoise Hardy à l'occasion de la sortie de l'album Décalages. Sa chronique est parue légèrement remaniée à l'intérieur du livre "J'ai encore esquinté mon vernis en jouant un ré sur ma Gibson" en mai 2009.
Françoise Hardy, la femme, ne faisait rien pour satisfaire les fantasmes de star quelle avait fait naître, en grande partie au moment de l’album du même nom, en 1977. L’année du punk, elle chantait du Jonasz et du Sheller. Et on ne lui en voulait pas. L’année d’après, en 78, elle écoutait de la musique saoule, et pour parfaire notre état d'ébriété, publiait Gin Tonic en 80, avec sa pochette sexy où la liane qui fit tomber raide d’amour Dylan, les Stones et une bonne partie de la planète mâle dans les sixties, se recroquevillait dans un frigo, à côté d’une paire d’escarpins à talons aiguilles, parfaite allégorie de ces eighties commençantes, qui seraient plastiques et publicitaires. D’ailleurs c'était la boite de Thierry Ardisson qui avait signé cette image. Elle enchaînera avec A Suivre, un disque avec Louis Chédid, puis le prémonitoire Quelqu’un qui s'en va, en 1982, avant ces six années d’absence choisie.
Un vrai cauchemar de fan que ces absences, et puis ce côté popote, ses impossibles casquettes Groovies qu’elle s'obstinait à porter à la télévision, sa dévorante passion pour une science aussi peu rock'n roll que l'astrologie, son perpétuel dénigrement d'elle-même, de la chanson, ce dilettantisme forcené... On voulait quelle soit à la face du monde la plus grande, et elle ne faisait rien que se tromper ! Sans parler de ses positions politiques, quelle prenait le risque d’afficher à l’inverse de celles qui sont courantes dans la profession.
C’est vrai quoi, on la voulait triomphante, impériale, à défaut d’être beautiful loseuse. Billie Holiday, au moins, avait de vrais défauts qui la rendaient inoubliable : négresse, pute, junkie, perdante et tellement divine quand, un camélia derrière l’oreille, elle ouvrait la bouche comme le chemin du purgatoire...
La voix de Françoise Hardy procure le même sentiment d'attachement que celle, pourtant opposée, de Billie Holiday : on s'interroge souvent sur le sexe des anges, mais on sait qu'ils ne peuvent avoir qu'une voix : la sienne. C'est une responsabilité qu'elle a toujours refusée, ne voulant être qu'une femme ordinaire, et comble du vice, y réussissant.
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