Elle était pour les plus de trente ans une sorte de néo-Gréco qui aurait chanté juste du premier coup. Les teenagers, eux, étaient plus réservés. "Elle n'est ni rock, ni twist, elle croule", disaient-ils. Pourtant, quand les magazines hebdomadaires à l'usage des adultes eurent épuisé le pittoresque du sujet Hardy, souligné que son art tendait à redonner à la chanson française sa dignité perdue, insisté sur le fait qu'aux futurs récitals de cette chanteuses on n’aurait jamais à déplorer le moindre bris de fauteuil, ils revinrent à leurs familles princières favorites et oublièrent Françoise pendant un an. Cette durée de temps suffit aux jeunes pour acheter deux millions et demi des disques de Françoise Hardy. Ils l’avaient reconnue pour une des leurs, et finalement ne la trouvaient pas aussi "réactionnaire" qu'ils l’avaient supposé de prime abord.
Et elle, pendant des mois, miraculeuse de séduction non apprise, riche à millions d'inexpérience scénique, irrésistiblement attirante à force de gestes malhabiles, promena sa désinvolte silhouette longiligne sur les places des provinces. Chaque soir de cette longue tournée, cinq ou six cents fans nouveaux la trouvaient belle, l'écoutaient avec un recueillement inhabituel, sentaient la parfaite harmonie entre la personnalité de cette jeune fille à la fois romantique et sauvage et toute une part secrète d'eux-mêmes. Ils disaient : "On croit à ce qu'elle chante." Cela signifiait : elle met en chansons une démarche de la pensée qui est aussi la nôtre, elle exprime sans apprêt ni convention les purs sentiments que nous éprouvons sans même les formuler. Bref, ils l'acceptaient parce qu'elle venait à eux par la seule voie sur quoi se fonde la vraie popularité : celle du cœur.
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