Huit fois sur dix, l'histoire d'une jeune vedette de la chanson commence ainsi : "A six ans, elle étonnait sa famille réunie pour le traditionnel déjeuner dominical en chantant avec une conviction touchante des refrains pas-pour-son-âge entendus à la radio. A douze ans, elle amusait ses camarades de classe en imitant Luis Mariano. A quatorze ans, elle gagnait le premier prix d'un "crochet" local organisé par l'Amicale des retraités du gaz. A seize ans, comme la scolarité lui pesait et que ses amis la pressaient de passer une audition, elle décidait de tenter vraiment sa chance. Une de ses amies, qui connait quelqu'un dans le métier du spectacle, la présentait chez Schmurtz. Elle stupéfiait les directeurs artistiques qui lui signaient aussitôt un contrat d'exclusivité. Deux mois plus tard, son premier disque sortait et se vendait comme des petits pains."
Rassurez-vous, l'histoire de Françoise Hardy ne ressemble en rien à cette biographie standard qui pourrait nous faire croire que les bonnes fées du spectacle, comme les mauvais journalistes, manquent terriblement d'imagination. Non, le destin de Françoise ne coïncide à aucun moment avec non plus le parfait contraire : plus banal encore par quelque points, mais bien plus étrange dans son ensemble, il déconcerte. Car enfin, il est évident que rien, absolument rien dans l'enfance de Françoise ne prédisposait celle-ci à devenir chanteuse. Ainsi qu'elle l'a précisé dans l'autobiographie de ses jeunes années, elle était avant tout une écolière appliquée, une petite fille timide vivant comme isolée du monde dans le seul univers familial, à l'abri de la contagion musicale du siècle (le poste de radio n'apparait que très tard dans sa vie et on l'écoute peu, chez elle), ignorant même probablement, jusqu'à l'âge du brevet élémentaire, qu'on puisse chanter ailleurs que dans une chorale d'école.
C'est pourtant la même fille qui éprouve, juste à l'instant où elle renonce à jouer à la poupée, le désir spontané de posséder une guitare. Et quand elle la possède et en fait la compagne de sa solitude, comment faut-il nommer cette force intérieure qui lui fait "réinventer" la mélodie et le rythme ? Le génie ? Si le mot peut paraitre excessif, disons l'inspiration – ce qui revient au même. Nous touchons là au véritable secret de son originalité : si les chansons de Françoise ne ressemblent pas à celles des autres, c'est parce que dans son pouvoir de création – instinctif avant tout – peu de place est laissé à ce que les psychologues appellent l'acquis. Plus tard, beaucoup plus tard, lorsque après avoir mûri longuement (et toujours seule) son style d'expression, elle paraîtra devant un public et finira par entrer dans le métier, elle saura conserver – cette fois grâce à son intelligence – cette pureté d'invention qui lui vient tout d'abord… de son inculture, de sa virginité musicales.
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