mardi 9 mai 2017

18 mai 1968 - Le 4ème récital au Savoy - Jours de France - Partie 1

Pour la quatrième fois
Françoise Hardy
gagne sa bataille
d’Angleterre.
Yves Salgues vous dit
comment

Comme un peu irréelles dans la nuit scintillante, les Rolls-Royce stoppent en silence devant le " Savoy " : le cabaret le plus officiellement snob de Londres. Sortant de leurs somptueuses voitures, ladys et lords, déçus, s'entendent souvent dire par le chasseur placé à l’entrée : " La salle est pleine à craquer. Il faut réserver quinze jours à l'avance." Ce qu’ont fait, d'ailleurs, la Princesse Margaret et Lord Snowdon. De qui le Tout-Londres est-il donc entiché depuis le 22 avril ? D'une Française de vingt-quatre ans, dont le tour de chant commence à minuit, comporte quatorze titres et se termine cinquante minutes plus tard, sous les applaudissements les plus généreux.
Françoise Hardy ne fait pas seulement salle comble au Savoy elle y fait sensation. Ce succès, toutefois, ne constitue pas une exception : engagées à prix d'or, les vingt vedettes qui dominent le show business international passent régulièrement tous les dix-huit mois environ, dans cette salle géante dont la scène s'élève du plancher comme par miracle.
L'exception, Françoise Hardy la crée par sa constance. En terme de métier, elle ne quitte pas l'affiche, pourrait-on écrire. En effet, en moins de deux ans (il s'agit d'un record mondial). Françoise en est à son quatrième récital dans ce night-club de 1 200 fauteuils.
C'est affirmer qu'elle a gagné sa bataille de Londres. Avec quelles armes ?

Les trois cartes maîtresses de Mademoiselle Hardy

En premier lieu, son entrée en scène qui suscite la stupéfaction et relève de l'événement. Françoise Hardy débute par un véritable numéro d'élégance futuriste. Nul n'en croit ses yeux quand elle apparaît dans sa combinaison métallique (en acier de luxe), œuvre du couturier " spatial " Paco Rabanne, et qui pèse 16 kilos, 320 grammes. " S'il existe une victime de la pesanteur, c'est bien moi, avoue Françoise. Je ne puis ni m'asseoir, ni projeter mes bras au ciel Cette carapace, dépourvue de la moindre souplesse, me condamne à une économie de gestes qui m'est à coup sûr bénéfique : elle m'oblige à extérioriser mes sentiments avec ma seule voix, mes yeux seuls, mon visage. Je suis une statue immobile qui chante. " (Françoise est modeste dans son langage : le mot comédienne devrait prendre la place du mot statue.)
Deuxième atout de Françoise son répertoire : remarquable sélection de ses best-sellers étalés sur six ans de carrière, et dont elle offre le plus récent " Les Ronds dans l'eau " au public britannique, l'interprétant de surcroît en anglais. Quant aux treize autres thèmes (quelle chante en français), ils sont si populaires que des étudiants se font chaque soir une petite fortune en proposant aux clients du Savoy leur traduction littérale et polycopiée, tels les cours de la Sorbonne ou d’Oxford. Ces thèmes s’intitulent " L’Amitié ", " Rendez-vous d'automne ", " Le Premier Bonheur du jour ", " La Maison où j'ai grandi "... puis, perspicace rappel, les tubes qui ont fait la gloire de Françoise : " Le Temps des copains ", et  surtout, " Tous les garçons et les filles " 1 760.000 exemplaires vendus sur 45 tours, de par le monde.

Troisième carte maîtresse de " Mademoiselle Hardy " : un prestige qui dépasse l’univers du music-hall pour s'étendre, plus directement, à l'univers lui-même. Il ne faut pas oublier que, lors de sa tournée en Afrique du Sud, Françoise fut conviée à déjeuner par le professeur Barnard, le roi de la greffe du cœur. " Dans mon service de chirurgie cardiaque — lui confia l'éminent praticien — la plupart de mes malades ont un disque de chevet : " Mon amie la rose ". Une chanson peut aider à vivre. Presque tous vos refrains délivrent un message d’espérance. " Au Savoy, les espérances de Françoise sont devenues une réalité incontestable. On l'accusait d'exercer son métier avec la nonchalance d'une idole que la vie intéressait davantage que le solfège. On lui reprochait son manque de passion à l'égard d'une profession dont elle acceptait les avantages en refusant ses disciplines. Qui plus est, certains faux prophètes allaient jusqu'à prédire : la chance l'a portée au sommet de la nouvelle vague. Elle démontre si peu de zèle à s'y maintenir que le reflux — juste revanche — risque de la déposer sur une grève plus anonyme encore qu'à ses débuts : lorsqu'elle était une élève, moyennement appliquée, du Petit Conservatoire de Mireille.

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