Pour la quatrième fois
Françoise Hardy
gagne sa bataille
d’Angleterre.
Yves Salgues vous dit
comment
Comme
un peu irréelles dans la nuit scintillante, les Rolls-Royce stoppent en
silence devant le " Savoy " : le cabaret le plus officiellement snob de
Londres. Sortant de leurs somptueuses voitures, ladys et lords, déçus,
s'entendent souvent dire par le chasseur placé à l’entrée : " La salle
est pleine à craquer. Il faut réserver quinze jours à l'avance." Ce
qu’ont fait, d'ailleurs, la Princesse Margaret et Lord Snowdon. De qui
le Tout-Londres est-il donc entiché depuis le 22 avril ? D'une Française
de vingt-quatre ans, dont le tour de chant commence à minuit, comporte
quatorze titres et se termine cinquante minutes plus tard, sous les
applaudissements les plus généreux. |
| Françoise
Hardy ne fait pas seulement salle comble au Savoy elle y fait
sensation. Ce succès, toutefois, ne constitue pas une exception :
engagées à prix d'or, les vingt vedettes qui dominent le show business
international passent régulièrement tous les dix-huit mois environ, dans
cette salle géante dont la scène s'élève du plancher comme par miracle. L'exception,
Françoise Hardy la crée par sa constance. En terme de métier, elle ne
quitte pas l'affiche, pourrait-on écrire. En effet, en moins de deux ans
(il s'agit d'un record mondial). Françoise en est à son quatrième
récital dans ce night-club de 1 200 fauteuils. C'est affirmer qu'elle a gagné sa bataille de Londres. Avec quelles armes ?
Les trois cartes maîtresses de Mademoiselle Hardy
En
premier lieu, son entrée en scène qui suscite la stupéfaction et relève
de l'événement. Françoise Hardy débute par un véritable numéro
d'élégance futuriste. Nul n'en croit ses yeux quand elle apparaît dans
sa combinaison métallique (en acier de luxe), œuvre du couturier "
spatial " Paco Rabanne, et qui pèse 16 kilos, 320 grammes. " S'il existe
une victime de la pesanteur, c'est bien moi, avoue Françoise. Je ne
puis ni m'asseoir, ni projeter mes bras au ciel Cette carapace,
dépourvue de la moindre souplesse, me condamne à une économie de gestes
qui m'est à coup sûr bénéfique : elle m'oblige à extérioriser mes
sentiments avec ma seule voix, mes yeux seuls, mon visage. Je suis une
statue immobile qui chante. " (Françoise est modeste dans son langage :
le mot comédienne devrait prendre la place du mot statue.) |
Deuxième
atout de Françoise son répertoire : remarquable sélection de ses
best-sellers étalés sur six ans de carrière, et dont elle offre le plus
récent " Les Ronds dans l'eau " au public britannique, l'interprétant de
surcroît en anglais. Quant aux treize autres thèmes (quelle chante en
français), ils sont si populaires que des étudiants se font chaque soir
une petite fortune en proposant aux clients du Savoy leur traduction
littérale et polycopiée, tels les cours de la Sorbonne ou d’Oxford. Ces
thèmes s’intitulent " L’Amitié ", " Rendez-vous d'automne ", " Le
Premier Bonheur du jour ", " La Maison où j'ai grandi "... puis,
perspicace rappel, les tubes qui ont fait la gloire de Françoise : " Le
Temps des copains ", et surtout, " Tous les garçons et les filles " 1
760.000 exemplaires vendus sur 45 tours, de par le monde.
Troisième
carte maîtresse de " Mademoiselle Hardy " : un prestige qui dépasse
l’univers du music-hall pour s'étendre, plus directement, à l'univers
lui-même. Il ne faut pas oublier que, lors de sa tournée en Afrique du
Sud, Françoise fut conviée à déjeuner par le professeur Barnard, le roi
de la greffe du cœur. " Dans mon service de chirurgie cardiaque — lui
confia l'éminent praticien — la plupart de mes malades ont un disque de
chevet : " Mon amie la rose ". Une chanson peut aider à vivre. Presque
tous vos refrains délivrent un message d’espérance. "
Au
Savoy, les espérances de Françoise sont devenues une réalité
incontestable. On l'accusait d'exercer son métier avec la nonchalance
d'une idole que la vie intéressait davantage que le solfège. On lui
reprochait son manque de passion à l'égard d'une profession dont elle
acceptait les avantages en refusant ses disciplines. Qui plus est,
certains faux prophètes allaient jusqu'à prédire : la chance l'a portée
au sommet de la nouvelle vague. Elle démontre si peu de zèle à s'y
maintenir que le reflux — juste revanche — risque de la déposer sur une
grève plus anonyme encore qu'à ses débuts : lorsqu'elle était une élève,
moyennement appliquée, du Petit Conservatoire de Mireille.
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