En février 1965, le magazine 
Salut les copains consacrait un numéro spécial qui racontait "tout tout tout sur Françoise Hardy". Raymond Mouly retraçait son parcours.
Huit fois sur dix, l'histoire d'une jeune vedette de la chanson commence
 ainsi : "A six ans, elle étonnait sa famille réunie pour le 
traditionnel déjeuner dominical en chantant avec une conviction 
touchante des refrains pas-pour-son-âge entendus à la radio. A douze 
ans, elle amusait ses camarades de classe en imitant Luis Mariano. A 
quatorze ans, elle gagnait le premier prix d'un "crochet" local organisé
 par l'Amicale des retraités du gaz. A seize ans, comme la scolarité lui
 pesait et que ses amis la pressaient de passer une audition, elle 
décidait de tenter vraiment sa chance. Une de ses amies, qui connait 
quelqu'un dans le métier du spectacle, la présentait chez Schmurtz. Elle
 stupéfiait les directeurs artistiques qui lui signaient aussitôt un 
contrat d'exclusivité. Deux mois plus tard, son premier disque sortait 
et se vendait comme des petits pains." 
Rassurez-vous, l'histoire de Françoise Hardy ne ressemble en rien à 
cette biographie standard qui pourrait nous faire croire que les bonnes 
fées du spectacle, comme les mauvais journalistes, manquent terriblement
 d'imagination. Non, le destin de Françoise ne coïncide à aucun moment 
avec non plus le parfait contraire : plus banal encore par quelque 
points, mais bien plus étrange dans son ensemble, il déconcerte. Car 
enfin, il est évident que rien, absolument rien dans l'enfance de 
Françoise ne prédisposait celle-ci à devenir chanteuse. Ainsi qu'elle 
l'a précisé dans l'autobiographie de ses jeunes années, elle était avant
 tout une écolière appliquée, une petite fille timide vivant comme 
isolée du monde dans le seul univers familial, à l'abri de la contagion 
musicale du siècle (le poste de radio n'apparait que très tard dans sa 
vie et on l'écoute peu, chez elle), ignorant même probablement, jusqu'à 
l'âge du brevet élémentaire, qu'on puisse chanter ailleurs que dans une 
chorale d'école. 
C'est pourtant la même fille qui éprouve, juste à l'instant où elle 
renonce à jouer à la poupée, le désir spontané de posséder une guitare. 
Et quand elle la possède et en fait la compagne de sa solitude, comment 
faut-il nommer cette force intérieure qui lui fait "réinventer" la 
mélodie et le rythme ? Le génie ? Si le mot peut paraitre excessif, 
disons l'inspiration – ce qui revient au même. Nous touchons là au 
véritable secret de son originalité : si les chansons de Françoise ne 
ressemblent pas à celles des autres, c'est parce que dans son pouvoir de
 création – instinctif avant tout – peu de place est laissé à ce que les
 psychologues appellent l'acquis. Plus tard, beaucoup plus tard, lorsque
 après avoir mûri longuement (et toujours seule) son style d'expression,
 elle paraîtra devant un public et finira par entrer dans le métier, 
elle saura conserver – cette fois grâce à son intelligence – cette 
pureté d'invention qui lui vient tout d'abord… de son inculture, de sa 
virginité musicales.