mardi 31 octobre 2017

Interview pour Canal + - Partie 1

Interview par Gilles VERLANT réalisée le 15 octobre 1996, à l’occasion du tournage de "Françoise HARDY - Mode d’emploi", un portrait réalisé par Mathias Ledoux, proposé par Brenda Jackson et Gilles Verlant et diffusé sur Canal plus le 11 Janvier 1997.

Gilles VERLANT : On commence par le signe astrologique : vous êtes née un 17 janvier, vous êtes Capricorne, signe de la démesure ...

Françoise HARDY : Tous les signes autour de l'axe des solstices sont des signes de démesure : Gémeaux, Sagittaire, Capricorne et Cancer. La démesure des Sagittaires et des Gémeaux peut s'extérioriser contrairement à celle des Capricornes qui est beaucoup plus rentrée et moins évidente. C'est à dire qu'il faut connaître la personne pour se rendre compte qu'elle est portée à être excessive, car sur ce fond de démesure le Capricorne déconnecte du monde extérieur ...

Gilles VERLANT : C'est votre cas ?


Françoise HARDY : J'ai par exemple beaucoup de mal à sortir de mes quatre murs, je me sens mal à l'aise dès qu'il y a plus de deux ou trois personnes. Je fuis les mondanités. Je suis quelqu'un d'assez empoté, j'ai certaines difficultés à communiquer ...


Gilles VERLANT : Vous avez déclaré que vous tenez votre côté anticonformiste de votre mère ... ?


Françoise HARDY : J'éprouve un énervement viscéral chaque fois que j'entends des discours bien pensant qui me semblent d'une part sectaire en ce qu'ils excluent d'office qu'il puisse y avoir d'autres vérités, d'autre part en contradiction avec les attitudes et les actes de ceux qui les tiennent. Est-ce que c'est de l'anticonformisme ? Peut-être ... Ma mère était certainement anticonformiste : elle était mère célibataire, elle ne l'avait sans doute pas choisi mais elle n'en avait absolument pas honte, au contraire. Elle non plus ne supportait pas la langue de bois et les discours moralisateurs ...

Gilles VERLANT : En revanche, ce serait votre grand-mère la responsable de tous vos complexes, de votre manque de confiance en vous ...

Françoise HARDY : Petite, je me suis retrouvé malheureusement assez souvent chez une grand-mère névrosée qui avait vis-à-vis de moi une attitude très négative. Pour un enfant, c'est la pire des choses quand des parents ou des grands-parents ne cessent de lui seriner qu'il est laid, qu'il est bête, qu'il a tous les défauts de la terre. C'est terrible parce que ça provoque un manque de confiance en soi que l'on traîne comme un boulet toute sa vie. Il faut faire excessivement attention à ce qu'on dit à un petit enfant, en évitant de le valoriser de manière excessive, ou de le dévaloriser ...

samedi 28 octobre 2017

Août 2000 - Chantant de solitude (Libération) - Partie 2

Françoise passe le bac à seize ans et Madeleine, stricte et orgueilleuse, l'inscrit à Sciences-Po. Françoise s'enfuit, parce que son petit imper en popeline bleu ciel et ses talons aiguilles jaunes lui semblent incongrus rue Saint-Guillaume.Et puis, son émotivité lui interdit les exposés. Sur une guitare obtenue pour le bac, elle apprend la musique et compose de fragiles mélodies.

Hardie et timide, Françoise se présente aux disques Vogue avec la maquette de Tous les garçons et les filles de mon âge. Deux millions de quarante-cinq tours vendus. « Une voix fraîche, juste, moderne, composant elle-même ses chansons, Françoise Hardy vous plaira », indique le texte publicitaire de la pochette en noir et blanc, avec le nom de la jeune fille en lettres vermillon. Elle habite encore 24, rue d'Aumale, avec sa mère. On a l'impression qu'elle parle, et pourtant elle chante d'une voix vaporeuse et juste, émanant de sa silhouette d'herbe longue. « C'est une voix intérieure, transparente, comme la pensée », dit son amie Armande Altaï.

Françoise fredonne, et Madeleine, qui a cessé de travailler, s'occupe de ses affaires. « Encore à 40 ans, elle me dictait ma conduite. Critiquait mon mari. Je me crispais avant qu'elle n'arrive. Enfin, j'ai dépassé la petite fille que j'étais, en défendant Jacques. Ça a été terrible. »

Familière et distante, Françoise Hardy se raconte avec simplicité, attentive à l'exactitude. Elle accompagne ses paroles de grands gestes des mains qui flottent dans l'air.

« Françoise ? Un paradoxe sur deux grandes jambes », dit le photographe Jean-Marie Périer. Une brume pâle s'est répandue sur la mer ligurienne comme un fumigène actionné depuis la maison. Le visage étroit et hâve de Françoise Hardy se détache sur les murs de crépi immaculé. Elle a acheté cette villa en 1967, juste avant sa rencontre avec Jacques Dutronc. Cette année-là, elle chantait Ma jeunesse fout le camp. Elle avait 23 ans. De sa relation avec son mari, elle dit : « trente ans de vie.. peu commune ». Elle porte son alliance autour du cou : à distance. Avenue Foch, dans leur nouvel appartement, chacun occupe un étage. Pour parler, ils se téléphonent. C'est l'amour en duplex.

« En astrologie, on dit que Françoise a le soleil aveugle, dit son ami l'astrologue Jean-Pierre Nicola. Elle ne voit pas qu'elle est solaire, qu'elle attire les autres. » Elle n'est pas plus consciente de sa grâce que du sourire juvénile qui, furtivement, éclaire son visage. « Chaque fois que Françoise a une peine de cœur, ça lui fait une chanson », s'amuse Jean-Pierre Nicola. Sa mélancolie n'est pas fabriquée, ni rien dans son répertoire. Au contraire d'un Gainsbourg, qui composa pour elle, elle est incapable de manipulation. « Son thème indique une opposition Saturne-Vénus, souligne l'astrologue. Cela signe une nature écorchée.. l'amour, toujours, renvoie au regret, au souvenir. »

Délectation masochiste, persiflerait un psy. Cantatrice qui chuchote ­ breathy voice écrit le Guardian, ses mélodies sont l'écho d'un sentiment unique : l'esseulement.

« Je n'ai jamais pu écouter une seule de ses chansons, ça me fout le cafard », dit Jacques Dutronc. Il lui a écrit une chanson qui s'intitule.. le Cafard. Si elle évite la complaisance chagrine, c'est par la grâce d'un style léger : sa voix d'hôtesse de l'air qu'un rien habille.

Petite fille, c'est bien sûr un conte cruel, la Petite sirène, qui avait ses faveurs : un amour absolu, qui faute de réciprocité, finit par se sublimer. Fidèle à ses goûts, elle lit aujourd'hui Kawabata. Tristesse et Beauté. Écoute le disque de Michel Houellebecq, chantre de la maniaco-déprime, dont elle est devenue l'amie. Ou la bonne fée. « Un album d'écrivain, ça me faisait peur.. Mais les rythmiques de Bertrand Burgalat sont d'une variété irrésistible.. ».
Lui, Houellebecq, c'est l'Amitié, sa chanson favorite: « Beaucoup de mes amis sont venus des nuages, avec soleil et pluie comme simples bagages.. dans leur cœur est gravée une infinie tendresse, mais parfois dans leurs yeux se glisse la tristesse.. »

Et le bonheur, où le trouve-t-elle ? Dans la chanson, encore. Certains soirs, elle se passe une vidéo de Trenet et Brassens. Ils chantent les Ducs. « Ils sont si joyeux qu'en les regardant, on est heureux. J'éprouve alors de la reconnaissance. » Dehors, la vue sur mer n'est plus qu'un écran gris sur lequel se détachent, au premier plan, quelques longues plantes mouillées. C'est l'été de Françoise Hardy, un été qui ressemble à l'automne.

Françoise Hardy en sept dates :
17 janvier 1944 : Naissance à Paris.
1960 : Sciences po.
1962 : Tous les garçons et les filles.
1973 : Message personnel, naissance de son fils.
1974 : La Question.
1995 : Le Danger.
2000 : Clair-Obscur.
Source : http://www.liberation.fr/portrait/2000/08/16/chantant-de-solitude_334259

mardi 24 octobre 2017

Août 2000 - Chantant de solitude (Libération) - Partie 1

Portrait
Chantant de solitude
Par Marie-Dominique Lelièvre
Le 16 août 2000 pour Libération

La baie vitrée en demi-lune découpe un paysage liquide où mer et ciel ne se distinguent que par des nuances de gris. Il pleut sur Calvi et sur les vacances corses de Françoise Hardy. «Je suis une citadine névrosée», dit-elle en riant, rêvant d'un été à Paris. Elle croise ses mocassins blancs sur l'ardoise noire du sol, les glisse sous la table Knoll.

Le matin, Françoise Hardy travaille : sur son e-book elle rédige un article pour une revue astrologique tirée à 100 exemplaires. Sur Josette Clotis, l'amour tragique d'André Malraux. L'astrologie, elle l'a étudiée comme d'autres la psychologie.
L'après-midi, elle lit « des choses difficiles» au fond du jardin. Le Journal de Gide, une bio de Malraux, à la recherche d'éléments biographiques. A l'ombre, comme l'expriment son teint naphtaline et ses jambes si pâles qu'on les croit d'abord gainées de bas ivoire. Une femme d'intérieur, en somme.

Le soir, au lit, elle dévore des Agatha Christie. « C'est ça, les vacances. Relire des romans policiers. L'été dernier, c'était Mary Higgins Clark. »

Les disques d'été, elle les écoute en boucle. Des mœurs adolescentes, en somme. Coldplay, un groupe anglais, elle ne s'en lasse pas, un seul morceau, We never change. L'histoire d'un type qui veut aimer la même femme, toujours. « C'est simple, irrésistible, pur, nostalgique. »

Elle rit, souvent, d'un rire qui sonne clair. Tout à l'heure, lorsqu'elle a ouvert la porte, elle a dit : « Essuyez vos pieds.» Cela semblait une farce, cette proposition dans la bouche d'une princesse pop.

A l'extérieur, un trio de vacanciers juchés sur un muret tentait de photographier la maison, malgré la pluie et le portail de fer. « Je déteste les vacances, mais rentrer c'est la joie. »

Enfant, Françoise passait des vacances sans sa mère, Madeleine. « J'ai eu pour elle des sentiments démesurés. L'adieu sur le quai de la gare était un déchirement. Puis j'attendais. Que les vacances passent. Que le facteur passe avec une lettre d'elle. »
Françoise aime et souffre pour deux. Elle n'a pas vraiment eu de père. Du haut de son mètre 78, cette mère au physique époustouflant tenait les hommes à distance. « Je la voyais très belle et elle l'était. » Françoise Hardy use de phrases exactes, d'une syntaxe de précision. Sauvage et solitaire, sa mère avait eu deux filles avec un homme indisponible. « Jamais de sa vie elle ne passa une nuit complète avec un homme », dit-elle. Durant l'Occupation, Madeleine renvoyait son amant en plein couvre-feu. « Mon père venait d'une grande famille, elle avait été éblouie par son milieu, plus que par lui. »

dimanche 22 octobre 2017

Juillet / Août 1963 - Nous les garçons et les filles - Partie 3




Nous quittons le bar des studios. Tout en finissant sa phrase, Vadim avance sur le plateau, tandis que le silence se fait. Immédiatement, il prépare le nouveau plan tandis que nous rejoignons Françoise qui discute avec Brialy dans un coin.
- Françoise, pourquoi faites-vous du cinéma ?
- Par hasard. Je n'ai jamais voulu faire du cinéma, mais j'ai accepté parce que faire un premier film avec Vadim m'a paru formidable.
- Pourquoi ?
- Je ne sais pas. Remarquez je n'ai vu aucun film de Vadim, mais quand même… D'ailleurs, celui-là doit être différent, puisque c'est une adaptation de la pièce de théâtre.
-Et votre rôle vous plait-il ?
- Oui… Oui… C'est un rôle amusant. Mais je ne crois pas que je continuerai à faire du cinéma parce que c'est pas tellement intéressant en soi. Et puis, on s'embête et j'ai le trac parce que je ne suis pas comédienne du tout.

Bernard Queysanne

samedi 14 octobre 2017

Juillet / Août 1963 - Nous les garçons et les filles - Partie 2


- Revenons au Château en Suède et expliquez-moi pourquoi vous avez choisi Françoise Hardy ?
- Françoise, je l'ai vue pour la première fois dans un night club. Je ne savais pas qui c'était, mais j'ai cru reconnaître Ophélie, mon personnage. On me l'a présentée, on s'est mis d'accord et un mois après, le tournage commençait. Ce rôle est un rôle facile pour Françoise, puisqu'elle n'a pas à changer de personnalité, d'ailleurs, je ne sais pas si elle pourrait le faire, elle est maladroite puisqu'elle débute, elle n'est pas toujours très photogénique, mais elle parle juste et a de la présence à l'écran, ce qui est très important.
- Est-ce qu'en engageant Françoise vous n'aviez pas l'intention de créer un personnage 1963 ?
- Non, puisque ce film est une adaptation, je n'ai fait que modeler les personnages de la pièce. Mais, ajoute-t-il l'air songeur, je crois, oui, je crois qu'on pourrait faire quelque chose avec Françoise Hardy.
- La censure vous pose-t-elle des problèmes ?
- Si la censure est relativement large en France en ce qui concerne les rapports amoureux, elle l'est beaucoup moins lorsque l'on s'attaque à l'ordre social. On subit en France le fait du prince, aussi, si je voulais dire ce que je pense de l'armée, par exemple, le jeu serait faussé, car je ne pourrais aller jusqu'au bout. On a souvent dit que j'étais scandaleux, mais cela tient au fait que j'aime aller au bout des choses. En ce qui concerne les rapports entre homme et femme, il est possible de composer, cacher le corps d'une femme par exemple, alors que dans un film engagé, il est impossible de supprimer un réplique qui critiquerait la police, l'armée, ou le régime sans trahir son sujet. C'est une des raisons pour lesquelles je ne peux pas faire des films critiques à l'égard de l'ordre social établi en France.

mardi 10 octobre 2017

Juillet / Août 1963 - Nous les garçons et les filles - Partie 1


Avec

Françoise Hardy

Roger Vadim

Construit

Des châteaux en Suède
Un vaste hall tout en pierre de taille avec, dans un coin, un imposant escalier de bois. Nous sommes dans le château des Felsen, famille noble vivant en Suède à notre époque. Agathe, qui tricote dans un fauteuil aux pieds de l'escalier, oblige toute la famille à porter des vêtements XVIIIème siècle pour respecter la tradition familiale.

La vie au château semble particulièrement ennuyeuse. Éléonore et Sébastien sommeillent sur les dernières marches de l'escalier.
- Il partira pas Eric. Il partira plus Eric.
En chantonnant cette phrase qui semble follement l'amuser, Ophélie, vêtue d'une vaste robe noire gonflée par une multitude de jupons, apparaît en haut de l'escalier.
- Il partira plus Éric…
- Pourquoi ? lance Éléonore toute ensommeillée
- Parce que Hugo a pris un gros revolver. Il va tuer Eric, réplique Françoise Hardy d'une voix rieuse avant de s'enfuir comme elle était venue.

Monica Vitti (Éléonore) et Suzanne Flon (Agathe) se dressent en hurlant d'effroi, et se précipitent dans l'escalier pour rattraper Ophélie. Jean-Claude Brialy (Sébastien) ramasse la traine de sa sœur Éléonore au passage et tous trois disparaissent.

- Coupez.
C'est Vadim qui vient de parler. Il donne ses indications pour le plan suivant puis m'entraine vers le bar.

- Voyez-vous, ce film est ma première comédie, mais ce qui me plaît surtout, c'est que je travaille avec Françoise Sagan et que cela fait longtemps que je voulais adapter l'un de ses livres. L'histoire est celle d'une famille noble qui, par la volonté d'Agathe, vit hors du temps… Ajoutez à cela qu'Hugo a deux femmes, Ophélie qui est devenue folle à l'âge de dix-sept ans et que tout le monde croit morte, et qu'il a assassiné quelques amants d’Éléonore, son autre femme, et vous aurez l'atmosphère un peu loufoque de mon film.

- Pourquoi depuis quelque temps ne faites-vous plus que des adaptations ?
- Cela tient au fait que, depuis deux ans, j'ai un certain nombre de contrats à assurer. Or, lorsqu'on signe deux ans à l'avance des projets de film, ça ne peut être que des adaptations, car aussi connu que vous soyez, on ne vous fait pas assez de confiance pour accepter des scenarii qui ne sont pas écrits. De ce fait, et cela semble paradoxal, je suis moins libre qu'au début de ma carrière. Il y a une autre raison qui m'a poussé à accepter des adaptations : quand vous faites un film de 450 millions, d'énormes possibilités pèsent sur vous. Deux échecs commerciaux de ma part feraient perdre certes de l'argent à des banquiers, tant pis pour eux, ce sont les risques du métier, mais ils auraient surtout des répercussions sur les salaires de nos collaborateurs. Aussi, je suis gêné pour mes responsabilités financières et artistiques et je vois qu'après ce film je vais m'arrêter de faire du cinéma quelque temps, pour faire le point, pour pouvoir renouveler mon répertoire, pour me retrouver devant une feuille de papier.

samedi 7 octobre 2017

Août 1992 - Françoise Hardy rend hommage à Michel Berger (Télé 7 Jours) - 2

Vous êtes pourtant restés très proches.
Je suis surtout devenue l'une de ses fans. Je n'ai jamais manqué l'un de ses spectacles ou l'un de ceux de France. Sauf le dernier, parce que je m'étais fait une entorse. J'ai tous ses disques, que j'écoute très souvent. Je lui avais adressé un petit mot pour leur disque "Double jeu", en lui disant que je l'appréciais énormément, de même que mon fils, Thomas, 19 ans, plus passionné d'habitude par Brel ou Brassens.

Il vous avait répondu ?
Aussitôt. Il s'étonnait que Thomas ait déjà passé 19 ans et qu'on ait passé tout ce temps sans se revoir vraiment. Nous avions chacun nos vies de couple. Jacques (Dutronc), d'autre part, n'a jamais tenu à ce que nous entretenions des relations avec d'autres chanteurs, sauf Gainsbourg et quelques autres. Nous ne sommes jamais devenus de vrais amis.


Vous ne l'aviez-pas revu ces dernières années ?
Il est venu seul, une fois, dîner à la maison. Lui que j'avais connu plein d'assurance était devenu à la fois plus distant, plus modeste, plus cool. Il avait mûri tout simplement, peut-être aussi parce qu'il avait souffert. Sa fragilité m'a touchée, comme son trac, encore pire que le mien lorsqu'une fois nous avions été réunis sur le plateau de Drucker. La réussite ne l'avait pas effacé, contrairement à ce que je pensais.

Vous avez du mal à cacher votre chagrin.
J'ai beaucoup de mal à accepter qu'une existence puisse être prématurément coupée. Ce qui m'apaise, c'est que Michel soit mort sans s'en apercevoir. Lui, désormais, est bien là-haut, et puis il continue d'exister à travers son œuvre. Mais France Gall ? C'est à elle surtout que je pense. Je ne la connais pas, mais j'ai beaucoup d'admiration pour l'artiste, pour son talent, sa façon de chanter. Je sais par une de nos amies communes, Mireille, combien elle est attachée à l'idéal du couple. En cela, nous nous ressemblons et la disparition de celui qu'elle aimait est une tragédie.

Isabelle CAUCHOIS

mardi 3 octobre 2017

Août 1992 - Françoise Hardy : Message à Michel Berger (Télé 7Jours)

Mais si tu crois un jour que tu m'aimes / Ne crois pas que tes souvenirs me gênent / Et cours, cours jusqu'à perdre haleine / Viens me retrouver." Des mots de Françoise Hardy, que Michel Berger semblait avoir mis en musique pour chacun d'entre nous. Quand on l'entend aujourd'hui, au hasard de la FM, l'émotion est encore plus vive. Françoise Hardy le sait et si elle, si pudique, si discrète, parle de Michel Berger, c'est pour lui rendre hommage.
Si l'on vous dit "Message personnel" est l'une de vos plus belles chansons ?
Elle est d'abord liée à la période la plus heureuse de ma vie. Lorsque j'ai commencé à travailler avec Michel Berger, en 1973, j'étais enceinte et Thomas est né alors que j'enregistrais mon album. Je garde un souvenir très précis du jour où Michel Berger est venu me jouer "Message personnel". J'habitais alors, avec Jacques, un petit appartement sur l'île Saint-Louis. Michel s'est mis au piano. La mélodie m'a transportée au septième ciel : pour moi, cela ne faisait aucun doute, ce serait une grande chanson. Il n'est l'auteur que de la musique, oui, mais en plus, c'est lui qui a eu l'idée de me faire écrire la partie parlée avant la partie chantée. Pour le titre, il m'a fallu trois jours de réflexion !

Comment en étiez-vous arrivée à travailler avec Michel ?
Il me semble que c'est Jean-Marie Périer qui nous a présentés l'un à l'autre. J'arrivais en fin de contrat dans ma précédente maison de disques, Vogue, et je ne savais pas trop dans quelle direction aller. J'avais entendu le disque que Michel venait de produire pour Véronique Sanson, puis "De l'autre côté de mon rêve". Il m'avait bouleversée. Il faisait paraître dépassé tout ce qui avait été fait auparavant. Il a accepté de produire un album pour moi, chez WEA, à condition de ne pas en composer les mélodies. A moi de trouver des compositeurs et d'écrire le plus possible de texte. Cela ne l'a pas empêché de revenir sur sa décision.


Une collaboration idéale.
Pas toujours, il faut l'avouer, tout simplement parce que, avec Michel, qui était déjà un homme très occupé, tout ne se faisait qu'au dernier moment. Or, moi, d'un naturel sans cesse angoissé, j'ai besoin que toute soit prêt avant. Cela créait donc entre nous des tensions. En plus, j'étais très impressionnée, bien que Michel ait trois ans de moins que moi, par son autorité, par son talent. De con côté, lui croyait que je me prenais pour une star. Ce qui n'a jamais été le cas. Je suis trop disciplinée, trop soumise, trop laborieuse. Ce qui est vrai, c'est qu'à l'époque de l'enregistrement j'étais très fatiguée : le dernier biberon de Thomas était à 1 heure du matin, le premier à 6 heures. En plus de mes limites vocales, il y avait des jours où je ne pouvais guère chanter. Michel m'en voulait.

Alors, vous avez cessé de travailler avec lui ?
J'aurais rêvé de continuer. Lui-même y pensait aussi. C'était l'époque où il arrivait, lui, en fin de contrat pour WEA et montait sa maison, Apache. Il m'avait proposé de réaliser un "concept album", un disque où chaque chanson tournait autour d'un thème central, comme son album. "Entracte", dont les chansons exprimaient chaque phase d'un amour. Les chansons d'amour, moi c'est la seule chose qui m'intéressait et m'intéresse toujours. Trouver un autre thème, ça ne m'intéressait pas. De plus, il commençait à produire France Gall. Deux chanteuses en même temps, ce n'était pas possible.