mardi 28 novembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 9

Gilles VERLANT : Sachant que nous allions interviewer Jacques en Corse, vous m’aviez demandé de lui poser la question : les avait-il écoutées, ces chansons ?

Françoise HARDY : Je crois que dans une relation tout est circulaire : l’attitude de l’un fait réagir l’autre ... Chacun réagit à l’autre et c’est très difficile de sortir de ce cercle vicieux, ça prend surtout énormément de temps pour prendre conscience qu’on est dans un cercle vicieux ! Aujourd’hui, j’ai suffisamment réfléchi à la nature des relations sentimentales et amoureuses mais je sais qu’avant, dans les moments les plus difficiles, je pensais que les difficultés venaient davantage de l’autre. Maintenant je m’aperçois que cette attitude, trop inconditionnelle, acceptant tout, n’est pas la bonne. Ce n’est pas de cette façon que l’on évolue ni que l’on aide l’autre à évoluer, au contraire : on renforce son égoïsme s’il est égoïste, sa désinvolture, son immaturité s’il est immature. Il ne faut pas répondre aux demandes de l’autre, mais à ses vrais besoins. Mais quand on est jeune, on ne pense pas à ça. C’est la dernière des choses à faire que trop manifester à l’autre le besoin que l’on a de lui : une attitude de dépendance excessive déséquilibre la relation, ce qui la condamne à l’avance, ou tout du moins lui nuit.


Gilles VERLANT : De la fin des années 70 au milieu des années 80 vous travaillez avec Gabriel Yared et Michel Jonasz : au fil des disques on se souvient de tubes comme "J’écoute de la musique saoule", "Jazzy retro Satanas", "Tamalou" ou "Tirez pas sur l’ambulance". Et puis il y a Etienne Daho qui écrit un livre sur vous, avec Jérôme Soligny, un livre intitulé "Françoise HARDY - Superstar et ermite" ...

Françoise HARDY : Je ne me reconnais pas dans le terme "Superstar", c’est trop extérieur à moi, j’ai du mal à l’évaluer, encore plus à en parler. Ermite, par contre, je m’y reconnais assez parce que c’est vrai que j’ai une propension exagéré à l’isolement. Il y a dans la solitude une liberté fantastique pour quelqu’un qui, comme moi, a toujours besoin de lire, d’écouter des disques, de regarder des films ou d’écrire, bref de faire des choses que l’on ne peut faire bien que dans la solitude.

samedi 25 novembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 8

Gilles VERLANT : Quand vous rencontrez Michel Berger, qui vous écrit "Message personnel" en 1972, vous en étiez fan ?

Françoise HARDY : J’avais adoré le premier disque de Véronique Sanson, qui m’avait complètement bouleversée. D’abord parce que c’est un disque merveilleux, ensuite parce qu’il faisait prendre un coup de vieux à toutes les chanteuses qui avaient précédé Véronique, moi comprise ! Je savais évidemment que Michel Berger y avait participé, il avait également sorti un album sous son nom dont j’adorais toutes les chansons. J’ai donc rencontré Michel ... Quand il m’a amené "Message personnel", j’ai eu un déclic instantané ... C’est très difficile d’expliquer la magie d’une chanson. On la reçoit ou pas. Moi, je l’ai reçue à 100%, elle faisait vibrer en moi des cordes très sensibles comme d’ailleurs beaucoup de ses mélodies. Quelque chose de très sentimental, qui parle au cœur ...

Gilles VERLANT : Le titre de la chanson ne figure pas du tout dans les paroles, ce qui y est rare ...


Françoise HARDY : Michel avait écrit les couplets et les refrains chantés mais il m’a demandé d’écrire toute la partie parlée de l’introduction. Ensuite s’est posée la question du titre. Je n’ai pensé qu’à cela pendant trois jours et trois nuits et puis subitement les mots "message personnel" me sont venus à l’esprit, je lui ai téléphoné, il m’a dit c’est parfait, on le garde !


Gilles VERLANT : En parlant de message personnel, en 1974 vous sortez un album qui s’appelait "Entracte", et qui était comme une mise en garde d’après ce que j’ai compris ...

Françoise HARDY : Il racontait une aventure d’un soir, une aventure souhaitée et vécue par une femme qui se sent délaissée et qui espère raviver aussi l’amour de l’autre. J’ai fait ce disque dans cet esprit, mais ce que j’y disais était plus imaginaire qu’autobiographique ...

Gilles VERLANT : Il ne fait pas de mystère, pour ceux qui connaissent vos chansons, qu’elles s’adressent souvent à quelqu’un qui ne les entend, qui ne les écoute pas forcément ...

Françoise HARDY : Effectivement, mais en faisant cela je me faisais du mal parce qu’en amour ce n’est jamais l’autre qui fait souffrir, on se fait du mal soi-même ... Donc mes chansons sont toujours sorties de cette espèce de douleur, de frustration, d’aspiration plus ou moins violente et plus ou moins déçue à chaque fois. En même temps, faire une chanson pour l’autre, c’est toujours avec l’espoir de l’émouvoir, surtout quand il parait insensible. Je n’ai jamais su si l’autre les avait écoutées, j’ai même toujours eu l’impression du contraire, mais ce n’est pas très important. Une fois que la chanson est faite, on s’est libéré d’un poids, avec sa souffrance on a tenté de faire quelque chose de joli ou d’émouvant ...

mercredi 22 novembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 7

Gilles VERLANT : En 1968, Gainsbourg accepte d’écrire le texte d’une chanson sur une musique qui n’est pas de lui, "Comment te dire adieu" ...

Françoise HARDY : C’était une idée de mon agent qui ne m’emballait pas au dernier degré. Ne prenez pas cela pour de l’orgueil ou de la prétention mais à l’époque, tout le monde demandait des chansons à Serge. Je ne me considère pas comme une interprète, mon seul apport, c’est ce que je mets dans mes textes et c’est pourquoi je préfère chanter mes propres chansons, même si elles sont moins fortes que celles de Serge Gainsbourg ou d’autres. Quand je l’ai rencontré, il habitait dans un appartement envahi par de sublimes photos de Brigitte Bardot. Il était clair qu’il était très amoureux et j’avais trouvé ça très touchant de sa part d’afficher comme ça son amour. J’ai finalement été ravie de chanter "Comment te dire adieu", qui a été un gros succès. Et puis, cela a surtout été le début d’une amitié qui a duré jusque la fin de sa vie, je me sens très très privilégiée de l’avoir connu.

Gilles VERLANT : Au début des années 70, vous décidez de vous autoproduire et coup sur coup vous sortez des albums qui sont autant de disques "cultes" : "Soleil", "La question" et "Et si je m’en vais avant toi" ...


Françoise HARDY : J’ai signé un contrat très intéressant, qui me donnait des garanties financières tout en me laissant une totale liberté - un rêve ! Sur les trois albums que vous citez, mon préféré est sans doute "La question", que j’avais fait avec Mon amie brésilienne Tuca. Ce disque c’est fait dans une atmosphère d’amitié et de grande complicité ... J’en étais très fière, cet album m’a donné l’impression d’avoir grandi artistiquement, même s’il n’a pas marché du tout ... J’ai toujours eu deux grandes directions dans ma carrière : les belles chansons lentes, mélancoliques, avec de belles cordes, et les chansons plus rock, avec des mélodies plus simples et des bases rythmiques plus musclées. J’ai été enregistrer ensuite en Angleterre, avec des musiciens fantastiques, un album dans ce style, dont j’avais composé presque tous les titres. Là aussi, j’étais très fière du résultat et le disque n’a pas mieux marché que le précédent. Mais bon, ces disques existent encore, et comme vous le dites, ils sont appréciés des fans !

Gilles VERLANT : Justement, à quoi ressemble un fan de Françoise HARDY ?


Françoise HARDY : J’ai toujours eu l’impression que mes fans me ressemblent. Aux fond d’eux-mêmes, ils ont les mêmes tourments, le même type de sensibilité sinon ils n’apprécieraient pas mes chansons. Tout comme moi quand je suis touchée par d’autres artistes ... Je crois que chaque personne porte en elle une certaine vibration et qu’on est comblé quand on entend cette vibration particulière exprimée par un autre, dans quelque domaine que ce soit, la peinture, la musique ou autre chose.

samedi 18 novembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 6

Gilles VERLANT : Etienne Daho vous a qualifié de "sublime androgyne".

Françoise HARDY : Je constate mon androgynie, je n’ai pas de complexes par rapport à cela, au contraire je trouve que ça peut être un atout. Sauf que j’ai beaucoup de mal à trouver des vêtements qui m’aillent, c’est même la croix et la bannière, parce que finalement, l’androgynie, ce n’est pas le modèle courant !

Gilles VERLANT : On arrive en 1967, une année importante, celle de votre rencontre avec Jacques Dutronc ...

Françoise HARDY : Nous nous étions déjà croisés, Jacques et moi, parce que nous avions le même directeur artistique, l’éditeur Jacques WOLFSOHN. Quand nous nous sommes revus en 67, Jacques sortait d’une rupture, en fait il devait se marier et deux jours avant la cérémonie, il avait tout annulé. De mon côté, je venais aussi de vivre une séparation. On sortait souvent ensemble avec Wolfsohn, on allait dans des boîtes, et je voyais ce Dutronc, que je trouvais évidemment très, très séduisant, entouré de minettes. Je me disais que je n’avais pas la moindre chance, vu qu’il semblait avoir une vie personnelle assez dévergondée ... Pourtant, au bout d’un certain temps, j’ai cru percevoir, à des signes infimes, qu’il y avait peut-être une petite réciprocité. Tout ceci a été extrêmement long car j’étais incapable de faire le premier pas vers lui et il en était presque aussi incapable que moi.


A un moment je me suis dit que rien ne se passerait jamais entre nous ... Puis il y a eu une sorte de complot entre lui et ses copains, nous étions en Corse, ses copains se sont éloignés, je me suis retrouvée seule avec lui et ça s’est fait comme ça ... Une nuit tout à fait extraordinaire, je ne parle pas du dénouement, mais des prémices ... Extraordinaire parce qu’il n’a pas cessé de parler et malheureusement comme ceci était très arrosé, pour nous donner du courage, je n’ai aucun, mais alors, aucun souvenir de ce qu’il a pu me raconter pendant des heures. Comme c’est quelqu’un qui parle très peu, je regrette vraiment d’avoir tout oublié !

Gilles VERLANT : Quand nous l’avons interviewé pour cette émission, Jacques nous a raconté que vos chansons, déjà à l’époque de votre rencontre, lui filaient le bourdon ...

Françoise HARDY : Je prends ça comme un grand compliment ! Excessif, même !

mardi 14 novembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 5

Gilles VERLANT : Dans les années soixante toujours, on se souvient de photos légendaires avec vous et Mick Jagger ...

Françoise HARDY : Jean-Marie qui avait déjà des envies de cinéma avait eu le projet de faire une adaptation des "Enfants terribles" de Cocteau, avec Mick Jagger et moi. Il nous a donc réunis pour les besoins d'une photo parce qu'il avait l'impression qu'on avait un petit air de famille, une ressemblance physique. J'étais évidemment très troublée par Mick, qui avait un charme irrésistible, la beauté du diable ... Dans une interview, il avait déclaré que je correspondais à son idéal féminin, alors imaginez mon émoi ...

Gilles VERLANT : On était en plein âge d'or du Swinging London ... Vous y participiez, de près ou de loin ?
Françoise HARDY : Après mon spectacle au cabaret de l'hôtel Savoy, j'allais dans les boîtes de nuit et je croisais des artistes comme les Beatles ou les Stones ou des photographes du genre David Bailey. J'étais fascinée par tout ça mais en même temps j'en étais très loin parce qu'à cette époque, j'ignorais absolument tout de la drogue ! A l'évidence, tout le monde planait beaucoup et je ne savais pas du tout à quoi attribuer cela ... La seule personne qui m'ait invitée plusieurs fois, c'était Brian Jones, des Rolling Stones : je me suis donc retrouvée, émerveillée, chez lui et sa compagne Anita Pallenberg. J'ai su après que l'un et l'autre s'étaient demandés pourquoi j'avais accepté leur invitation : était-ce parce que j'avais des vues sur Brian ? Ou sur Anita ? Moi, toujours aussi naïve, j'étais simplement éblouie de voir de près un membre des Rolling Stones !


Gilles VERLANT : Vous essayez de nous faire croire que vous étiez à Londres en plein explosion psychédélique et que vous n'avez pas touché à la drogue ?
Françoise HARDY : Je vous assure, je n'ai jamais pris de drogue ! Ça m'a toujours effrayée; en revanche, j'ai toujours adoré boire du bon vin, c'est beaucoup mieux que la drogue, à tous points de vue !

Gilles VERLANT : Lors de ces séjours londoniens, à part les concerts au "Savoy", à quoi passiez-vous votre temps ?

Françoise HARDY : Que ce soit à Londres ou Paris, la seule chose qui m’intéressait, c’était d’arriver à écrire des chansons : dès que j’avais un moment de libre, je m’enfermais dans les toilettes ou les salles de bains de mes chambres d’hôtel parce que l’acoustique y est particulière. J’essayais de composer et j’étais tellement tourmentée par ce que je vivais sur le plan personnel qu’il n’y avait pas de place pour examiner le reste du monde ... J’étais loin de la personne que j’aimais, je me demandais où elle était, je vivais dans l’attente du coup de fil qui allait me redonner un peu de vie.

Gilles VERLANT : Puisqu’on parle de Jean-Marie PERIER, je suppose que devant son objectif vous avez dû vous trouver moins laide ...
Françoise HARDY : Oui, en voyant certaines photos j’avais l’impression que ma grand-mère avait un petit peu exagéré ..

samedi 11 novembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 4

Gilles VERLANT : Dans la famille yéyé de la première partie des années soixante, vous passiez plutôt pour l'intellectuelle, la rêveuse de la bande ...

Françoise HARDY: Je ne sais pas pourquoi l'on m'a faite cette réputation d'intellectuelle - peut-être parce que j'écrivais les paroles de mes chansons, contrairement à la plupart de mes consœurs et confrères ... Mais mes textes n'avaient rien de très sérieux, ils étaient extrêmement sentimentaux. Une intellectuelle, c'est quelqu'un qui se sent bien dans le monde des idées, qui m'est tout à fait étranger. Je fonctionne surtout au sentiment et à la sensation !

Gilles VERLANT : A vos débuts, Philippe Bouvard vous avait trouvé un surnom légumier ...

Françoise HARDY : Il m'avait baptisée "l'endive du twist" et j'avoue que ça m'avait fait rire, parce que c'était surprenant et en même temps, ça me correspondait relativement. N'oublions pas que l'endive est un légume de luxe, délicat et un peu pâle ! Lorsque plus tard j'ai monté ma première petite société de production, je l'ai appelée Asparagus, pour répondre à tous ceux qui me traitaient de grande asperge.


Gilles VERLANT : On parlait de concerts à Londres, vous faisiez également des tournées en France, mais vous arrêtez tout en 1968 ... Parce que vous n'aimiez pas la scène ?

Françoise HARDY : Faire de la scène oblige à voyager sans cesse, donc à ne jamais être chez soi et surtout à toujours devoir quitter la personne avec qui l'on a envie d'être. En plus, à cette époque là, je vivais avec le photographe Jean-Marie PERIER, qui lui-même était tout le temps en voyage. Donc, la scène a tout de suite été associée pour moi à des déchirements et des séparations. Je ne parlerai pas de mes premières tournées, en 62-63, j'étais totalement inconsciente, je réalisais à peine ce que j'étais en train de faire. Plus tard, j'ai commencé à éprouver un relatif plaisir à être sur scène quand j'ai eu de meilleurs musiciens. Mais j'avais tellement le trac, tellement peur d'oublier mon texte, que ces angoisses prenaient le dessus. Depuis 1968, je ne suis plus remontée sur une scène et il n'est pas question que j'y retourne un jour !

mardi 7 novembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 3

Gilles VERLANT : Malgré votre "laideur extrême" vous faites rapidement la couverture de Paris-Match puis de Salut les copains, et vous rencontrez le photographe Jean- Marie PERIER qui devient votre fiancé ...

Françoise HARDY : J'ai rencontré Jean-Marie quelque mois après la sortie de "Tous les garçons et les filles" : le magazine Salut les copains venait de démarrer et il en était le photographe vedette. Qu'est-ce que je peux dire de plus ? Qu'il a été quelqu'un de très important dans ma vie, qu'il a été le premier homme qui ait réellement compté et qu'il m'a considérablement aidée. Je sortais de mon trou, littéralement, j'avais vécu entre ma mère et ma sœur sans jamais voir grand monde, j'étais complètement ignorante et innocente. Jean-Marie m'a conseillée, m'a influencée, j'ai beaucoup appris à son contact. Il était un petit peu plus âgé que moi, il sortait d'une famille très différente et il connaissait beaucoup de choses, en particulier sur le monde artistique.

Gilles VERLANT : Il nous a dit que lorsqu'il vous a rencontrée, vous n'aviez aucun goût vestimentaire ... Et pourtant, pratiquement dès vos premières photos, vous êtes devenue un symbole du look de ces années là !

Françoise HARDY : Quand j'ai commencé à chanter, je ne savais absolument pas m'habiller, ça n'a pas changé d'ailleurs, ça m'ennuie ! J'ai commencé à me préoccuper de mes tenues vestimentaires à partir du moment où j'ai fait de la scène. C'est comme cela que je me suis retrouvée avec des couturiers comme André Courrèges ou Paco Rabanne. Dès le moment où j'ai arrêté de faire de la scène, je ne me suis plus du tout souciée de mon look, je m'habille toujours pareil.


Françoise HARDY : A cette époque, il ne se passait pas une semaine sans qu'il y ait obligation de faire un reportage photo. J'étais donc obligée de faire attention à ce que je portais et, les gens ne me croient pas quand je dis ça, j'ai une morphologie telle que peu de choses me vont. En tout cas, je me sens bien dans peu de vêtements ... Il est difficile d'allier le confort et un minimum d'élégance et au début des années soixante, j'ai eu l'impression que les minijupes me convenaient plutôt bien, c'est pour ça que je les ai adoptées ...

Gilles VERLANT : On se souvient de vous portant des robes métalliques de Paco Rabanne ...

Françoise HARDY : J'allais souvent chanter à Londres où les journalistes étaient très à l'affût de ce que j'allais porter comme tenue de scène. Ils me considéraient comme une représentatrice de la mode française : pas question de venir deux fois de suite avec le même ensemble ! J'avais donc demandé à Paco de me confectionner une tenue et je me suis retrouvée avec une combinaison métallique qui pesait seize kilos. Moi qui étais déjà très statique sur scène, je ne pouvais plus bouger du tout ! En plus, le poids de la tenue entraînait l'entrejambe qui descendait au fur et à mesure. Résultat, Paco devait m'envoyer non pas des couturières, mais des ouvriers munis de tenailles, de tournevis, de marteaux, pour remontrer l'entrejambe de cette tenue diabolique mais qui était, je tiens à le préciser, très belle !"

samedi 4 novembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 2

Gilles VERLANT : Vous vous réfugiez dans les livres et parmi vos premières lectures, on trouve des histoires très romantiques, des histoires d'amour absolu ...

Françoise HARDY : J'ai réalisé récemment que les premières lectures que j'ai faites et qui m'ont vraiment touchée étaient l'expression d'une problématique personnelle dont je ne pouvais absolument pas avoir conscience à l'âge où j'ai commencé à lire. Quand j'étais petite fille, je lisais des contes, en particulier "La petite sirène". Naturellement, je m'identifiais totalement à l'héroïne ... J'étais aussi fascinée par cet autre conte, moins connu, qui s'appelle "La dame au blanc visage", également une histoire d'amour impossible qui finit dans l'engloutissement général ... C'est un peu ce qui m'a poursuivi toute ma vie.

Gilles VERLANT : Qu'est ce qui vous a donné envie de chanter ?


Françoise HARDY : Je me suis toujours intéressée à la chanson comme mode d'expression : je me souviens que petite fille, j'achetais des partitions, des chansons telles que "La rue Saint Vincent" de Francis Lemarque ou "Je ne sais pas" de Jacques Brel. Je me chantais tout ça, dans ma chambre ... Puis à l'âge de 16 ans, j'ai découvert une station de radio anglaise qui diffusait du rock non-stop : Elvis Presley, Cliff Richard, les Everly Brothers, Paul Anka, ... J'en étais complètement passionnée. A tel point que je ne pouvais pas envisager mon avenir sans qu'il ait un rapport proche ou lointain avec ce type de musique. J'ai tout imaginé, je me suis rêvée en programmatrice radio, j'ai pensé que je pourrais travailler dans des éditions musicales. Puis quand j'ai passé mon Bac, mon père a voulu me faire un cadeau et j'ai choisi une guitare. J'ai découvert une méthode très simple, j'ai appris trois ou quatre accords et j'ai commencé tout naturellement à imiter les chansons que j'entendais sur cette station anglaise, en beaucoup moins bien évidemment.


Gilles VERLANT : Vous sortez votre premier Super 45 tours en 1962, à l'âge de 17 ans : il contient la chanson "Tous les garçons et les filles", un succès instantané, une chanson qui vous colle à la peau et que vous avez outrageusement dénigrée par la suite ...


Françoise HARDY : J'ai enregistré ce disque dans des conditions inimaginables aujourd'hui puisqu'on l'a fait en un après-midi ! A la sortie du 45 tours, j'en étais insatisfaite, notamment au niveau des arrangements. J'étais quand même contente que la chanson marche, qu'elle passe à la radio et encore plus contente qu'elle plaise à pas mal de gens. Le succès de cette chanson a été déterminant pour toute ma vie et si je semble dénigrer "Tous les garçons et les filles" aujourd'hui, c'est simplement parce que souvent, j'ai l'impression que les gens ne connaissent de moi que cette chanson. C'est frustrant quand on sait que j'en ai enregistré des centaines d'autres ... Sur le plan mélodique, ou sur le plan du texte, elle est carrément simplette !

Gilles VERLANT : Elle raconte une situation vécue par des générations entières de garçons et de filles, quand on est seul et qu'on voit les autres se balader à deux, amoureux ...

Françoise HARDY : Je me souviens de cette chanson de Paul Anka, qui s'appelle Lonely boy, où il disait "I'm just a lonely boy, lonely and blue / I'm all alone with nothing to do ..." Dans "Tous les garçons et les filles", je disais exactement la même chose ! Etant donné tout ce qu'on m'avait seriné dans mon enfance sur ma laideur extrême, je ne pouvais pas imaginer que je vivrais quelque chose, que j'aurais quelqu'un dans ma vie ... Cette chanson exprime le désarroi d'adolescentes qui sont convaincues qu'elles ont un physique ingrat !