mardi 29 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 8

Michel FIELD : C’est quoi le trac ?

Françoise HARDY : Le trac c’est ...

Michel FIELD : L’angoisse ?


Françoise HARDY : Je ne sais pas si on peut appeler ça "angoisse": ça vous fait perdre tous vos moyens: le peu de voix que vous aviez, vous ne l’avez plus, le peu de mémoire que vous aviez par rapport à vos textes, vous ne l’avez plus, vous oubliez tout, vous mélangez tout ... subitement c’est la déstabilisation, la désorganisation intérieures totales ... Alors quand ça se produit avant, ça va, mais quand c’est pendant, c’est pas possible. Il m’est arrivé justement dans les quelques années où j’ai fait de la scène, d’avoir subitement des trous de mémoire et c’est atroce ... Encore maintenant, il m’arrive de faire des cauchemars où je dois passer sur scène et je n’ai pas répété les chansons, je ne les connais pas ... Encore maintenant ... A peu près une fois par an ...

Michel FIELD : Il faudrait peut-être que vous y alliez sur scène ...

Françoise HARDY : Non, non ...

Michel FIELD : Ça irait mieux ...

Françoise HARDY : Dans ma prochaine vie alors ...
Michel FIELD : Quel rapport avez-vous à la maternité et au temps ?

Françoise HARDY : Je ne sais pas si j’ai grand’ chose à dire sur la maternité. Pour moi ça a été d’autant plus important qu’à un certain moment les médecins m’avaient laissé entendre que je ne pourrais pas avoir d’enfant, j’ai donc souffert de ça suffisamment pour comprendre la souffrance des femmes qui passent par là , pas assez peut-être pour comprendre celles qui ont recours à des procédés comme celui des mères porteuses, ou autres choses terrifiantes .... Donc quand j’ai su que j’étais enceinte, c’était évidemment quelque chose de tout à fait extraordinaire: une des plus grandes joies de ma vie, bien que liée à une inquiétude que je qualifierai de réaliste, car dès que l’on sait que l’on va avoir un enfant, et même avant d’ailleurs, dès que ça devient plus concret, plus présent, on a peur qu’il ne soit pas normal, ensuite quand il est là , on passe sa vie à avoir peur.
Je crois que je ne suis pas une très bonne mère, parce que je suis une mère qui ne fait peut-être pas assez confiance à la vie, qui a toujours peur d’une catastrophe, peur que son enfant soit malheureux, qu’il lui arrive des choses épouvantables ... Ce qui fait que dès que l’enfant est là , on n’est plus jamais tranquille et, en même temps, on fond de tendresse à tout bout de champ.

Michel FIELD : Vous vous en êtes servi comme d’un combustible pour alimenter votre angoisse ?

Françoise HARDY : Non je ne crois pas que je m’en sois "servi". Comment ne pas être inquiet quand on a un enfant ? Si j’avais l’âge d’avoir un enfant aujourd’hui, ce serait encore pire avec tout ce qu’on entend, tout ce qui se passe, puisque l’on est bombardé en permanence d’informations sur des atrocités qui se produisent près de chez soi. Avant on pouvait se dire que les atrocités avaient lieu dans des pays lointains - encore que tout soit proche -, maintenant on sait que c’est partout et c’est encore plus angoissant .... Bref, avoir un enfant c’est une responsabilité et, fatalement, ça rend soucieux ...

Michel FIELD : Ça aide à vieillir aussi ...

Françoise HARDY : Il me semble que l’enfant, le mien a déjà 23 ans, enfin quand il arrive dans la maison avec ses copains, ça met tout de suite de la vie, c’est formidable pour ça...

Michel FIELD : Le rapport au temps est-il le même depuis qu’il est né ?

Françoise HARDY : J’ai du mal à faire ce genre de connections ...

Michel FIELD : Le rapport au temps vous inquiète ?


Françoise HARDY : Oui, oui, oui ...

Michel FIELD : Vous ne le montrez pas trop ...
Françoise HARDY : Le fait de vieillir c’est très inquiétant, mes intimes sont plus au courant de mes inquiétudes. Ce qui est inquiétant toujours, c’est logique, c’est le fait que plus le temps passe et plus l’enveloppe physique, le véhicule qui véhicule ... qui transporte notre âme, notre esprit, plus il se détériore ... moi, c’est ça qui me fait peur: de constater qu’il y a une douleur qui arrive, qu’on y voit moins clair ... c’est assez inquiétant ... C’est très curieux d’ailleurs l’évolution des choses: le corps se dégrade de plus en plus, devient de plus en plus insupportable alors que, si tout se passe à peu près bien - l’esprit s’affine un peu plus et on en arrive au point où le corps va être un tel fardeau, que l’esprit est content de s’en libérer et c’est ce qu’on appelle la mort. Je vois les choses comme ça, mais bon, ce sont des moments difficiles à passer, je ne considère pas du tout la vieillesse comme une partie de plaisir, au contraire. C’est vraiment là où il faut apprendre encore plus qu’auparavant le détachement, essayer d’approfondir encore plus - justement pour acquérir peut-être ce détachement - le pourquoi, le comment de la vie, le sens de la vie, l’au-delà ... Y en a-t-il un ? Qu’est-ce qu’on fait là ? Qu’est-ce que je peux faire, qu’est-ce que j’ai fait jusqu’ici ?

Michel FIELD : Ce sont des questions qui vous tarabustent ?

Françoise HARDY : Parfois, oui ...

Michel FIELD : Au point de vous empêcher de dormir ?

Françoise HARDY : Oui, parce que si on ne va pas au bout de ce genre de questions elles déclenchent une certaine culpabilité. C’est trop facile de se contenter d’effleurer ces questions et en même temps c’est plus dérangeant de les effleurer que de ne pas y penser du tout, car si l’on va au bout de ces questions-là , c’est effrayant ...

samedi 26 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 7

Michel FIELD : On a dû vous presser de faire de la scène.

Françoise HARDY : Oui, encore maintenant. Ça paraît ridicule.

Michel FIELD : Pourquoi ?

Françoise HARDY : Parce que quand vous avez arrêté il y a plusieurs décennies, ça n’est pas maintenant que vous allez vous y remettre, surtout quand vous savez exactement pourquoi vous avez arrêté et que ce ne serait une bonne chose ni pour vous, ni pour un éventuel public de remettre ça ...

Michel FIELD : Mais n’y a-t-il pas quelque part en vous une petite voix qui vous dit quand même ...
Françoise HARDY : Non. La seule voix que j’ai, c’est une voix de regret. C’est de déplorer mes limites qui font que je ne puis être aussi bien sur scène qu’il faudrait - qu’il faut - être pour être satisfaite de son travail, pour bien défendre les chansons qu’on a à défendre et pour satisfaire le public qui vient vous voir. J’en suis très consciente.

Michel FIELD : Est-ce que c’est une sorte de modestie ?

Françoise HARDY : Non ...

Michel FIELD : Un orgueil démesuré ?

Françoise HARDY : Ah non, non plus. Véritablement ... Je l’ai fait justement, je ne peux pas dire que je ne l‘ai pas fait et que je suis sûre que je ne le ferais pas bien. Je l’ai fait et je me suis heurtée chaque fois à mes limites et mes difficultés.
Michel FIELD : Quelles étaient-elles ?

Françoise HARDY : J’ai des difficultés rythmiques par exemple ... J’ai des difficultés vocales ... J’ai une voix qui n’est pas solide du tout, qui lâche facilement, sur laquelle je ne peux pas compter, ce qui va d’ailleurs avec une énergie physique ... il suffit de me regarder, de voir la tête que j’ai, pour savoir que j’ai une énergie relativement limitée ... Or, pour faire de la scène, il faut beaucoup d’énergie, il faut avoir le "hara" que je n’ai sans doute pas ... Il y a, liés à tout ça, les problèmes de respiration, dont je n’ai pris conscience que très progressivement ... Si j’en avais été consciente à 18/19 ans, si je m’étais mise à travailler d’arrache-pied pour acquérir tout ce qui me manquait, peut-être aurais-je fini par l’acquérir, je n’en sais rien ... Quoi qu’il en soit, aujourd’hui c’est trop tard ...

Michel FIELD : N’est-ce pas une façon de clore trop facilement le débat, de dire que c’est trop tard ?

Françoise HARDY : Non, c’est être objective. Là , je crois que je suis objective. Ce n’est pas du tout une forme d’échappatoire, de lâcheté, de fuite ou de je ne sais quoi d’autre, d’orgueil ... Non. C’est vraiment voir les choses telles qu’elles sont. Au ras des pâquerettes. Point.

Michel FIELD : Ça vous aura manqué ?

Françoise HARDY : J’envie les artistes qui ont l’aptitude de trouver du plaisir à la scène et d’en procurer aux autres. J’envie beaucoup ça, enfin je suis sûre que ça doit être prodigieux pour eux.

Michel FIELD : Il vous est arrivé d’être dans la salle et de regretter ?

Françoise HARDY : Non, de déplorer de ne pas avoir ce que ces artistes ont.
Michel FIELD : Et pourtant on en connaît qui ont des problèmes de voix, de rythme et que ça n’empêche pas de faire de la scène ...

Françoise HARDY : Oui, mais ils sont peut-être moins entravés par une émotivité un peu démesurée que j’aurais dû faire soigner depuis longtemps ...

Michel FIELD : Qui se manifeste comment ?

Françoise HARDY : Par le fait que j’ai encore plus le trac pendant qu’avant, et ça c’est vraiment très, très embêtant ...

mardi 22 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 6

Michel FIELD : Alors ...

Françoise HARDY : Il me semble que le masochisme, c’est rechercher la souffrance et je crois que j’ai toujours eu avant tout - inconsciemment bien sûr dans un premier temps, maintenant c’est plus conscient -, j’ai surtout eu un besoin d’intensité. Et donc ce besoin d’intensité qui est satisfait par les états de désir - et évidemment, pour qu’il y ait désir il faut qu’il y ait une certaine distance de la part de l’autre, on ne peut pas désirer ce qui est à vos pieds - c’est plutôt ce que j’ai plus ou moins inconsciemment recherché, ce que mes besoins m’ont amenée à vivre. Mais je ne crois pas que ce soit une recherche de souffrance parce qu’en fait, l’état de désir est un moteur, ça a toujours été pour moi un moteur important, qui n’est pas dénué de souffrance, parce qu’on ne peut pas vivre des situations d’amour-désir sans qu’il y ait souffrance, c’est lié, mais ça n’est pas forcément du masochisme. Le masochisme pour moi, c’est simplement rechercher la souffrance et quand je suis dans des situations de vraie souffrance - pas dans celle qui accompagne fatalement, inévitablement toute situation amoureuse basée en grande partie sur le désir - quand je suis dans ces états de vraie souffrance, je suis paralysée, bloquée, il n’y a plus de moteur du tout ...

Michel FIELD : Pourquoi être attirée par le pôle du dominé ?
Françoise HARDY : Peut-être parce que je suis une femme ! Peut-être parce que c’est plus souvent féminin que masculin d’être attirée par ça. Je ne sais pas ... je réponds un peu n’importe quoi.

Michel FIELD : On peut imaginer que l’intensité est la même des deux côtés ?

Françoise HARDY : Je ne crois pas, je crois qu’il y a plus d’intensité - a priori - à être dans l’incertitude, à être la personne qui attend, qui est, d’une certaine manière dirigée, qui ne sait pas ce qui va se passer, plutôt que celui qui dirige, qui a probablement un plan, qui sait où il va, ce qu’il va faire. Ça me semble moins intéressant a priori, mais bon je ne connais pas les excitations inhérentes au pôle dominant ... (l’intensité en rapport avec le pôle est une intensité liée au pouvoir et non à l’amour) 
Michel FIELD : Les situations d’intensité n’ont pas besoin du fouet. Pourquoi avez vous toujours eu un rapport aussi compliqué avec le public, avec la scène ?

Françoise HARDY : Je n’ai pas eu de rapports compliqués, je n’ai pas eu de rapport du tout.

Michel FIELD : On peut dire que c’est une question compliquée pour vous ?

Françoise HARDY : A priori, non. Je veux dire que la réponse qui me vient à l’esprit n’est pas compliquée. Pour moi le public est une abstraction comme tout ce qui est collectif d’ailleurs qui non seulement ne m’attire pas, mais encore me rebute un peu. Qu’est-ce que le collectif: un ensemble de personnes et chaque personne est différente de l’autre ... Alors bien sûr, dans un concert, dans une manifestation, on peut imaginer que les personnes qui sont là, sont liées par un intérêt commun, par exemple par une commune estime pour l’artiste qu’elles sont venues voir et entendre. Mais au-delà de ça, les gens sont tous très différents et les raisons qui les amènent à participer à telle manifestation, à venir à tel concert, peuvent être très différentes d’une personne à l’autre. Le public est donc quelque chose de trop vague ... Le rapport avec une seule personne m’intéresse plus, c’est à la fois plus facile et plus difficile. Quand on a une personne en face de soi, au moins c’est précis, et même si c’est très vaste à explorer, même si, parfois, une vie entière ne suffit pas à en faire le tour, au moins a-t-on quelque chose de concret en face de soi. Alors que le public, encore une fois, c’est abstrait.
Michel FIELD : Un artiste qui n’affronte pas le public, n’y a-t-il pas là un côté un peu lâche ?

Françoise HARDY : C’est le paradoxe de ce métier qui requiert des qualités complètement différentes pour faire, d’une part ce qui pour moi est le plus intéressant et le plus important: écrire, composer les chansons et les enregistrer, d’autre part pour les chanter sur scène. Il y a des tas de chansons qui m’importent énormément et je me passe complètement d’aller voir l’artiste sur scène. A l’inverse, il y a des artistes comme Johnny HALLYDAY - prenons cet exemple -, que j’ai été voir plusieurs fois sur scène et c’est un véritable bonheur quand, en plus, il a de bonnes chansons et que son spectacle est bien réalisé, ce qui lui arrive de temps à autre, c’est donc un véritable bonheur de le voir sur scène, mais je me passe de ses disques, je n’en ai quasiment aucun. Donc pour moi, ce sont deux activités ...

Michel FIELD : Ce n’est pas le même métier

Françoise HARDY : Ce n’est pas le même métier. Alors c’est parfait quand on tombe sur des artistes qui savent faire les deux, qui ont toutes les qualités requises, qui sont "complets" en quelque sorte, mais c’est assez rare finalement.

samedi 19 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 5

Michel FIELD : Il y a une petite délectation morose ...

Françoise HARDY : Oui, il y a probablement une forme de délectation morose à apprécier les chansons qui remuent le couteau dans la plaie, mais c’est surtout je crois ... mais c’est surtout - on peut voir ça aussi sous un angle un peu plus positif -, ce n’est pas seulement de la délectation morose, il doit y avoir de ça, mais il y a quand même aussi ce petit miracle - même pour une chanson on peut parler d’une sorte de miracle - d’arriver à faire quelque chose de beau ... avec finalement des douleurs qui sont communes à tout le monde, d’arriver à faire quelque chose de beau avec ça, et d’émouvant, et d’avoir l’impression que tout ce mal-être par lequel on passe autant ou plus que tout le monde, finalement ça peut déboucher sur quelque chose d’intéressant et d’émouvant ...

Michel FIELD : Vous êtes soumise ?
Françoise HARDY : Je me suis vue pendant très longtemps comme quelqu’un de soumis. J’étais une petite fille très sage, très disciplinée. Ça venait du fait que je vouais à ma mère une véritable adoration, que je la voyais se donner beaucoup de mal et que je n’avais qu’une idée: qu’elle ne se donne pas du mal pour rien, la récompenser d’une certaine manière du mal qu’elle se donnait. Elle avait certainement des injonctions qui allaient dans ce sens, mais ayant commencé comme ça dans la vie ...

Michel FIELD : C’était mal barré ?

Françoise HARDY : (rires) C’était mal barré: j’ai continué sur ma lancée ...

Michel FIELD : Et alors ?
Françoise HARDY : Et alors, je ne pense pas que ce soit une très bonne attitude parce que l’attitude de soumission par rapport aux gens, enfin disons plus spécialement par rapport à un homme qu’on aime par exemple, c’est une attitude qui lui donne plus ou moins tous les droits et même s’il n’est pas, si ce n’est pas quelqu’un de vraiment pervers ou d’égocentrique - je ne sais pas quel défaut trouver là - mais bon la tentation est trop forte et puis c’est maintenir l’autre dans une espèce de situation ou d’immaturité s’il est immature, ou de domination s’il a tendance à user des rapports de force. Donc ça n’est pas une attitude véritablement mature non plus, l’attitude de soumission.

Michel FIELD : Vous n’avez pas l’air de détester les rapports de force ...

Françoise HARDY : A priori, je déteste ça. A priori, je déteste les rapports de force. C’est difficile pour moi d’en parler, parce que j’ai mis très longtemps à m’en rendre compte. En fait, ça n’est que récemment que je me suis rendue compte que je n’avais jamais eu à réfléchir sur les rapports de force dans la vie en général, dans la mesure où la vie m’avait mise dans une situation professionnelle où j’étais tout naturellement, aux yeux de certaines personnes, dans un rapport de forces à mon avantage. L’importance des rapports de force, c’est quelque chose que j’ai réalisé - je suis très lente à réaliser des choses qui ne m’intéressent pas véritablement, les autres aussi d’ailleurs - et qui pourtant est une sorte de clé pour comprendre des attitudes inadéquates, difficiles que les autres peuvent avoir vis-à-vis de soi, j’ai donc mis très longtemps à réaliser l’importance des rapports de force. Mais je n’aime pas ça. J’aime les rapports d’égal à égal: est-ce que c’est possible, est-ce que ce n’est pas une utopie ? Les rapports de force après tout, ça fait partie de la réalité, c’est une réalité qu’il convient de ne pas trop ignorer et que je n’ai que trop ignorée jusqu’ici.
Michel FIELD : Vous n’êtes pas un peu masochiste, je dis "un peu" par politesse ...

Françoise HARDY : Le masochisme, c’est quelque chose dont on m’a souvent parlé à propos de moi et, dans un premier temps je ne l’admettais pas du tout, parce qu’évidemment personne ne peut imaginer - encore moins en début de vie - que l’on éprouve un plaisir à rechercher des situations douloureuses et qu’on puisse en tirer un plaisir - si jamais c’est le cas, ça n’est pas du tout conscient - ... Et puis quand on arrive à l’âge que j’ai, qu’on regarde en arrière et que l’on constate que, finalement, on s’est retrouvé un peu trop souvent dans des situations vraiment frustrantes, on en vient à se demander s’il n’y a pas, effectivement, une part de masochisme chez soi. C’est une question que je me pose, mais je ne suis pas sûre de pouvoir y répondre par l’affirmative ...

mardi 15 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 4

Michel FIELD : Je n’ai pas le sentiment que vous parlez de vos jeunes années.

Françoise HARDY : Je parlais de mes jeunes années. J’ai dit justement qu’aujourd’hui je suis consumée et aspire au calme. Je m’imaginerais mal revivre des situations, des états comparables à ceux que j’ai vécus pendant des années et qui font que je suis presque étonnée d’être encore là ...

Michel FIELD : C’était, c’est lié à un être précis qui actualisait finalement une certaine représentation de l’amour ...

Françoise HARDY : Je pense que l’on a une sorte de problématique interne, ainsi que certains modèles, liés aux images parentales, et que quand on rencontre quelqu’un qui correspond aux modèles, aux images que l’on porte inconsciemment en soi, la problématique se déclenche immédiatement ...

Michel FIELD : Pourquoi une personne plus qu’une autre ?

Françoise HARDY : Pourquoi se polariser sur un seul être ? Là on est presque dans une conversation psychanalytique, parce que c’est lié aux conditionnements de l’enfance. J’ai été élevée par une mère seule. Je n’avais personne d’autre: la seule personne à aimer était cette maman, qui de surcroît était très belle et très personnelle. Il n’y avait pas de père et je n’éprouvais pas de sentiments importants pour les quelques personnes autour de moi, ou alors des sentiments plutôt négatifs. Il n’y avait donc qu’une seule personne pendant toute mon enfance.
Et puis je suis née sous le signe du Capricorne qui - malheureusement d’une certaine manière -, ne porte pas du tout à se disperser, qui est un signe d’une très grande lenteur: lenteur à s’attacher et plus grande lenteur encore à se détacher. Il n’y a donc pas beaucoup d’attachements profonds, en général, dans la vie de quelqu’un qui est très marqué par le signe du Capricorne. C’est une explication rationnelle. Vous me demandez une explication: j’essaie de vous la donner, mais il y a tellement de facteurs qui doivent entrer en ligne de compte et qui m’échappent.

Michel FIELD : On aurait pu imaginer que vous vous attachiez à une grande œuvre ?

Françoise HARDY : Je peux dire oui et non, parce que la chanson ... il y a plusieurs façons, il y a plusieurs types de chansons ... moi j’adore les chansons légères qui procurent un plaisir de l’instant et j’en ai fait évidemment, je crois, des chansons comme ça et j’en écoute aussi beaucoup ... et puis il y a les chansons qui vont beaucoup plus loin, qui sont beaucoup plus profondes, il y a des tas de chansons que tout le monde connaît: de Léo FERRE, BRASSENS ou BREL, ou d’autres que je n’ai pas en tête maintenant, et dans certaines des chansons que j’ai faites dans ma vie, j’ai essayé - je ne sais pas si j’ai réussi et je ne veux surtout pas me comparer aux grands artistes que je viens de citer - mais j’essaie de mettre dans certaines chansons toute la profondeur dont je suis capable. J’espère toujours rencontrer une musique qui ait en elle la vibration nécessaire pour me permettre d’aller aussi profondément que possible dans les sentiments que j’éprouve et dans leur expression.

Michel FIELD : Y a-t-il des chansons d’autres personnes qui soient marquées à des instants précis ?
Françoise HARDY : Non, pas vraiment, parce que j’ai toujours été à l’affût des chansons et que quand il en est ainsi, on écoute souvent la radio, on achète des disques et puis quand on tombe sur la chanson qui vous procure une émotion importante, cette chanson vous accompagne toute votre vie. J’ai donc des centaines de chansons qui m’accompagnent, que je réécoute assez régulièrement et qui me mettent dans un certain état de mélancolie bienheureuse ... Pour répondre à votre question, si, il y a eu cette chanson de Simon et Garfunkel : "Bridge over troubled water" que j’écoutais et je pleurais chaque fois que je l’écoutais, parce qu’elle correspondait à une période assez difficile de ma vie (rires) ...

Michel FIELD : Pourquoi riez-vous ?

Françoise HARDY : Parce que chaque fois que je dis que cela correspondait à une période difficile de ma vie personnelle, je réalise que ma vie personnelle a tout le temps été difficile. Il y avait donc cette chanson - ce n’est pas la seule, je n’y aurais pas pensé si vous ne m’aviez pas demandé une sorte de repère dans le temps par rapport à une chanson. Il y a des chansons comme ça qui vous font pleurer et ce sont des larmes à la fois de douleur et en même temps de cette espèce de bonheur que procure la sublimation d’une douleur, comme on la trouve dans des chansons ou dans toute autre forme d’art, d’expression artistique.

samedi 12 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 3

Michel FIELD : [Tous les garçons et les filles ] ce n’est pas si simplet que ça ...

Françoise HARDY : Le thème peut être profond, mais la manière dont j’ai exprimé ça était vraiment simplette. C’est ça qui me fait un peu honte aujourd’hui ...

Michel FIELD : Que changeriez-vous si l’on vous donnait un exercice de style consistant à réécrire cette chanson ?

Françoise HARDY : Je ne pourrais pas réécrire une chanson comme ça aujourd’hui, parce que je n’en suis évidemment pas du tout au même point. A l’âge de 16/17 ans, effectivement, dans certains cas, c’était donc le mien, on a peur de ne jamais plaire à quelqu’un, de ne jamais connaître ce dont toutes les chansons parlent et puis, à l’âge que j’ai aujourd’hui, à partir du moment où justement j’ai très bien connu tout ça ... j’ai connu la passion, l’amour et pas seulement à sens unique, mais à partir du moment où il y avait à la base une telle peur de ne pas rencontrer cela et une envie correspondante ... une fois que la rencontre se fait, la peur de perdre arrive en même temps et il y a des souffrances tellement fortes, liées à la peur de perdre, liées à toutes sortes de peurs, qu’une fois que tout cela est plus ou moins épuisé ... consumé ... on aspire à un certain calme. C’est là où j’en suis aujourd’hui. Je n’ai plus les mêmes aspirations et je ne pourrais pas réécrire une chanson sur la peur de ne pas connaître une certaine forme d’amour.

Michel FIELD : Pourquoi aviez-vous l’idée d’un amour fou qu’il fallait absolument vivre ?
Françoise HARDY : En écrivant "Tous les garçons et les filles", je ne pensais pas que je ne connaîtrais pas "l’amour fou". Je pensais à l’amour et c’était très vague. Il s’est trouvé que quand je l’ai rencontré, j’ai su à mon propre sujet, que je ne pouvais aimer que d’une manière assez folle, probablement liée à toutes les peurs évoquées ...

Michel FIELD : C’est quoi aimer d’une manière folle ?

Françoise HARDY : C’est aimer d’une manière une peu trop inconditionnelle, un peu trop absolue, un peu trop basée sur l’attraction physique peut-être ... Non, je ne dis rien de plus ...

Michel FIELD : Pourquoi ?

Françoise HARDY : C’est tout ce qui me vient à l’esprit ... Aimer d’une manière folle, c’est être entièrement suspendu à l’autre, entièrement dépendre de ses humeurs, désirs, non-désirs, de sa présence, de son absence ... C’est comme si l’autre était la vie et que sans lui on meurt sur place ... Je ne sais même pas si c’est de l’amour ... A la réflexion, tous ces états passionnel, ces hauts et ces bas, ce feu et cette glace ... j’ai l’impression que ça n’est pas vraiment de l’amour, ça n’est au fond qu’un besoin et l’on vit en fonction de son besoin et non en fonction de l’autre ... On croit qu’on vit en fonction de l’autre ... On veut tout faire par rapport à lui, on veut tout donner - enfin on ambitionne de lui donner tout: tout ce qu’on aimerait, tout ce qu’il aimerait ... Mais en fait, c’est pour calmer son besoin à soi.

Michel FIELD : C’est plus du besoin que du plaisir ?

Françoise HARDY : Il y a aussi du plaisir puisqu’il suffit que l’autre apparaisse pour être dans un état de complétude, de bonheur, simplement du fait qu’il soit là ...
Michel FIELD : Pourquoi se mettre dans un état où l’on sait d’emblée qu’on va perdre ?

Françoise HARDY : On ne calcule pas que l’on va perdre quand on est jeune, même si on se sent perdant ...

mercredi 9 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 2

Michel FIELD : [Être authentique] n’est-ce pas une façon de se donner un bon rôle aussi ?

Françoise HARDY : Je ne dis pas que ce soit une valeur suprême. On est partis d’une question : vous me demandiez ce que je dirais à quelqu’un qui ne me connaît pas sur qui je suis et je suis partie d’un trait de caractère dont on me dit qu’il m’appartient plus ou moins. Mais je ne sais pas si c’est la valeur suprême. Tout est une question de dose à chaque fois. Je crois que c’est quand même une qualité dans la mesure où je préfère les gens qui ont suffisamment cette qualité-là à ceux qui ne l’ont pas du tout.

Michel FIELD : A quoi sentez-vous cette qualité chez les autres ?
Françoise HARDY : Justement, je ne sais pas toujours la repérer. Il y a des apparences qui sont extrêmement trompeuses et je peux, comme tout un chacun, me faire piéger par les apparences. Avoir l’impression que quelqu’un est complètement fiable alors qu’il ne l’est pas du tout, avoir l’impression qu’il me dit des choses sur lesquelles je peux compter alors que ce n’est pas le cas, alors qu’au contraire je peux me faire manipuler .... Je redoute effectivement les gens chez qui je pressens une faculté de manipulation importante.

Michel FIELD : On a l’impression que vous avez toujours été ailleurs que là où l’image publique de vous se posait ...

Françoise HARDY : Ça m’est toujours difficile de parler de l’image publique puisque c’est extérieur à moi. Malgré tout, quand j’y pense - plus exactement quand on m’y fait penser -, j’ai l’impression que l’image publique que j’ai,
est en rapport avec certaines chansons que les gens connaissent de moi, qui ne sont pas toujours les chansons dont je suis la plus fière, mais qui ont le plus plu ... Parmi elles, il y a la première évidemment "Tous les garçons et les filles", il y a eu aussi par la suite "Comment te dire adieu ?", et "Message personnel" de Michel BERGER ... Ce sont des chansons qui donnent l’image de quelqu’un de sentimental, de mélancolique - il me semble que mon image publique c’est un peu ça - et en ce sens, elle correspond à ma réalité, à ce que je suis à l’intérieur ...

Michel FIELD : Pourquoi ne les aimez-vous pas, si elles correspondent à cette réalité ?

Françoise HARDY : Ce n’est pas que je ne les aime pas ... J’aime beaucoup "Message Personnel". "Tous les garçons et les filles", j’aimais beaucoup cette chanson au début, mais je trouve qu’elle a mal vieilli ... Toutes mes chansons parlent plus ou moins de la même chose, ce sont toujours un peu les mêmes thèmes ... Simplement au fur et à mesure qu’on avance dans le temps, que l’on grandit - enfin c’est ce qui est souhaitable -, on dit les mêmes choses d’une manière un tout petit peu plus fine, plus élaborée, plus profonde ... Donc, évidemment, je regrette que ma première chanson reste la plus connue, dans la mesure où j’ai fait par la suite des tas d’autres chansons qui étaient de meilleure qualité.
Michel FIELD : Ce n’est pas la première fois qu’on se voit et à chaque fois vous revenez sur cette chanson.

Françoise HARDY : C’est vous qui avez commencé, ce n’est pas moi ! J’en ai parlé par rapport à mon image publique, mais c’est vous qui m’avez amenée à en parler, sinon je n’en parle pas.

Michel FIELD : Comment avoir un point de fixation aussi négatif ?

Françoise HARDY : Ce n’est pas aussi négatif que ça, parce que je sais tout ce que je dois à cette chanson et pour parler d’authenticité, justement, alors voilà une chanson totalement simplette, totalement authentique qui disait exactement, au premier degré absolu, ce que j’étais à cette époque-là !
Michel FIELD : Et c’était quoi pour le dire avec les mots d’aujourd’hui ?

Françoise HARDY : C’était une chanson totalement adolescente, de l’adolescente hyper-complexée qui ne pouvait pas imaginer ... pour qui l’amour avec quelqu’un du sexe opposé représentait un rêve inaccessible. Voilà quoi ! C’est tout bête, tout simple et, en même temps ...

dimanche 6 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 1

Pour l'émission "Mode d'emploi" diffusée sur Canal+ le 11 janvier 1997 pour promouvoir l'album "Le Danger", Françoise Hardy avait accordé une longue interview à Michel Field. Certains passages ont été utilisés dans le documentaire, d'autres ont été coupés au montage. Voici l'intégralité des échanges...

Michel FIELD : A quelqu’un qui débarque comme ça, qui ne vous connaît pas du tout, qu’est-ce qu’il faudrait lui dire tout de suite sur vous ?

Françoise HARDY : C’est difficile, parce que ça implique de se connaître soi-même suffisamment et, bien que j’aie passé beaucoup de temps à essayer de comprendre les autres et de me comprendre moi-même, on est - enfin chaque être est - un tel tissu de contradictions ...

Dire comme ça, d’emblée, à quelqu’un qui l’on est, c’est quelque chose qui m’est très difficile. Peut-être qu’en disant : "j’aime ci, j’aime ça, j’aime tel type de musique, j’aime telle sorte de livre, ou tel livre, peut-être que cela donnerait plus d’indications valables sur moi, parce que ce que je pourrais dire autrement serait fatalement ... vague ... général ... imprécis ...
On se connaît soi même au travers aussi de ce que les autres disent de vous, de l’image qu’ils vous renvoient de vous-même et dans laquelle - à tort ou à raison - on se reconnaît en partie ...  Par exemple dans les qualités que certaines personnes me reconnaissent, on parle souvent d’authenticité, et c’est sûr que l’authenticité est une qualité que je trouve importante et que j’apprécie particulièrement chez les autres, j’espère donc que je suis assez authentique. On ne l’est peut-être jamais assez et en même temps il arrive que l’on qualifie certaines attitudes d’authentiques là où il n’y a que de la naïveté et de la spontanéité ...

Michel FIELD : Comment définiriez-vous ce mot d’authenticité ? Ce serait quoi son contraire ?
Françoise HARDY : La fausseté, mais on est tous un peu faux. Moi non plus je ne me sens pas toujours vraie. Disons que la fausseté c’est dire des choses en étant suffisamment conscient que ce que l’on dit n’est pas du tout conforme à ce que l’on est et ce que l’on ressent.

Michel FIELD : Et pourquoi c’est une qualité l’authenticité ? Pourquoi est-ce une valeur ? Quel est l’intérêt d’être authentique ?


Françoise HARDY : C’est une valeur parce que ... Cette question est très perturbante, elle demande une réflexion préalable pour trouver les mots ... Il est vrai que parfois mentir peut être une bonne chose, parfois dire la vérité peut être presque criminel. Quelquefois la vérité peut blesser, d’autres fois elle peut presque tuer psychologiquement certaines personnes. Mais être authentique, cela n’implique pas forcément de dire des vérités qui assomment ou qui perturbent ou qui déstabilisent totalement, quand ça n’est pas utile de le faire. Cela veut dire avoir quand même un minimum de discernement sur soi et sur les autres et c’est peut-être la chose la plus difficile. Peut-être que vivre dans l’illusion est une forme de facilité, peut-être qu’un peu d’illusion, de rêve, c’est nécessaire pour supporter des aspects très pénibles de l’existence, mais, malgré tout, il me semble qu’avoir suffisamment de discernement pour savoir plus ou moins, qui on est, par exemple ses limites, et savoir à qui on a affaire, c’est important. Pourquoi c’est important, ça me paraît tellement évident que j’ai du mal à expliquer pourquoi c’est important de voir les choses telles qu’elles sont et non telles qu’elles ne sont pas.