mardi 29 août 2017

Octobre 1996 - Entretien avec Michel Field - Partie 8

Michel FIELD : C’est quoi le trac ?

Françoise HARDY : Le trac c’est ...

Michel FIELD : L’angoisse ?


Françoise HARDY : Je ne sais pas si on peut appeler ça "angoisse": ça vous fait perdre tous vos moyens: le peu de voix que vous aviez, vous ne l’avez plus, le peu de mémoire que vous aviez par rapport à vos textes, vous ne l’avez plus, vous oubliez tout, vous mélangez tout ... subitement c’est la déstabilisation, la désorganisation intérieures totales ... Alors quand ça se produit avant, ça va, mais quand c’est pendant, c’est pas possible. Il m’est arrivé justement dans les quelques années où j’ai fait de la scène, d’avoir subitement des trous de mémoire et c’est atroce ... Encore maintenant, il m’arrive de faire des cauchemars où je dois passer sur scène et je n’ai pas répété les chansons, je ne les connais pas ... Encore maintenant ... A peu près une fois par an ...

Michel FIELD : Il faudrait peut-être que vous y alliez sur scène ...

Françoise HARDY : Non, non ...

Michel FIELD : Ça irait mieux ...

Françoise HARDY : Dans ma prochaine vie alors ...
Michel FIELD : Quel rapport avez-vous à la maternité et au temps ?

Françoise HARDY : Je ne sais pas si j’ai grand’ chose à dire sur la maternité. Pour moi ça a été d’autant plus important qu’à un certain moment les médecins m’avaient laissé entendre que je ne pourrais pas avoir d’enfant, j’ai donc souffert de ça suffisamment pour comprendre la souffrance des femmes qui passent par là , pas assez peut-être pour comprendre celles qui ont recours à des procédés comme celui des mères porteuses, ou autres choses terrifiantes .... Donc quand j’ai su que j’étais enceinte, c’était évidemment quelque chose de tout à fait extraordinaire: une des plus grandes joies de ma vie, bien que liée à une inquiétude que je qualifierai de réaliste, car dès que l’on sait que l’on va avoir un enfant, et même avant d’ailleurs, dès que ça devient plus concret, plus présent, on a peur qu’il ne soit pas normal, ensuite quand il est là , on passe sa vie à avoir peur.
Je crois que je ne suis pas une très bonne mère, parce que je suis une mère qui ne fait peut-être pas assez confiance à la vie, qui a toujours peur d’une catastrophe, peur que son enfant soit malheureux, qu’il lui arrive des choses épouvantables ... Ce qui fait que dès que l’enfant est là , on n’est plus jamais tranquille et, en même temps, on fond de tendresse à tout bout de champ.

Michel FIELD : Vous vous en êtes servi comme d’un combustible pour alimenter votre angoisse ?

Françoise HARDY : Non je ne crois pas que je m’en sois "servi". Comment ne pas être inquiet quand on a un enfant ? Si j’avais l’âge d’avoir un enfant aujourd’hui, ce serait encore pire avec tout ce qu’on entend, tout ce qui se passe, puisque l’on est bombardé en permanence d’informations sur des atrocités qui se produisent près de chez soi. Avant on pouvait se dire que les atrocités avaient lieu dans des pays lointains - encore que tout soit proche -, maintenant on sait que c’est partout et c’est encore plus angoissant .... Bref, avoir un enfant c’est une responsabilité et, fatalement, ça rend soucieux ...

Michel FIELD : Ça aide à vieillir aussi ...

Françoise HARDY : Il me semble que l’enfant, le mien a déjà 23 ans, enfin quand il arrive dans la maison avec ses copains, ça met tout de suite de la vie, c’est formidable pour ça...

Michel FIELD : Le rapport au temps est-il le même depuis qu’il est né ?

Françoise HARDY : J’ai du mal à faire ce genre de connections ...

Michel FIELD : Le rapport au temps vous inquiète ?


Françoise HARDY : Oui, oui, oui ...

Michel FIELD : Vous ne le montrez pas trop ...
Françoise HARDY : Le fait de vieillir c’est très inquiétant, mes intimes sont plus au courant de mes inquiétudes. Ce qui est inquiétant toujours, c’est logique, c’est le fait que plus le temps passe et plus l’enveloppe physique, le véhicule qui véhicule ... qui transporte notre âme, notre esprit, plus il se détériore ... moi, c’est ça qui me fait peur: de constater qu’il y a une douleur qui arrive, qu’on y voit moins clair ... c’est assez inquiétant ... C’est très curieux d’ailleurs l’évolution des choses: le corps se dégrade de plus en plus, devient de plus en plus insupportable alors que, si tout se passe à peu près bien - l’esprit s’affine un peu plus et on en arrive au point où le corps va être un tel fardeau, que l’esprit est content de s’en libérer et c’est ce qu’on appelle la mort. Je vois les choses comme ça, mais bon, ce sont des moments difficiles à passer, je ne considère pas du tout la vieillesse comme une partie de plaisir, au contraire. C’est vraiment là où il faut apprendre encore plus qu’auparavant le détachement, essayer d’approfondir encore plus - justement pour acquérir peut-être ce détachement - le pourquoi, le comment de la vie, le sens de la vie, l’au-delà ... Y en a-t-il un ? Qu’est-ce qu’on fait là ? Qu’est-ce que je peux faire, qu’est-ce que j’ai fait jusqu’ici ?

Michel FIELD : Ce sont des questions qui vous tarabustent ?

Françoise HARDY : Parfois, oui ...

Michel FIELD : Au point de vous empêcher de dormir ?

Françoise HARDY : Oui, parce que si on ne va pas au bout de ce genre de questions elles déclenchent une certaine culpabilité. C’est trop facile de se contenter d’effleurer ces questions et en même temps c’est plus dérangeant de les effleurer que de ne pas y penser du tout, car si l’on va au bout de ces questions-là , c’est effrayant ...

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