samedi 2 décembre 2017

Interview pour Canal + - Partie 10

Gilles VERLANT : En 1988 également vous sortez l’album "Décalages", écrit en compagnie de Jean-Noël Chaléat. A l’époque, vous annoncez que c’est votre dernier album et que vous allez arrêter de chanter.

Françoise HARDY : J’en avais assez pour des tas de raisons. D’abord parce que j’ai toujours pensé qu’à partir d’un certain âge, ce serait un peu ridicule de continuer à pousser la chansonnette. Peut-être parce que j’avais l’impression de ne pouvoir écrire autre chose que des chansons très sentimentales et qu’au-delà d’un certain cap, ça parait un peu bizarre de toujours ressasser les mêmes thèmes. Et puis tout devenait de plus en plus difficile : le fait de chanter sur des machines, et plus sur de vrais instruments, le fait de se battre pour passer à la radio, le fait de devoir faire des playbacks à la télé, ce que je déteste par dessus tout ... Alors je me suis dit qu’il valait mieux que j’arrête, que j’écrive pour d’autres chanteurs ...

Gilles VERLANT : Sur cet album, on trouve la chanson "Laisse-moi rêver", où vous parlez indirectement de vos fascinations sadomasochistes or je crois savoir que parmi vos films et livres préférés on trouve "9 semaines et demi" et "Histoire d’O" ...


Françoise HARDY : C’est très difficile d’en parler comme ça ... J’ai été très bouleversée par la lecture d’"Histoire d’O" mais il y a longtemps, il faudrait que je le relise pour pouvoir en parler avec l’intelligence que ça mérite. Ce qui m’a intéressé dans ce récit, c’est le rêve de l’héroïne d’avoir accès au domaine a priori interdit des fantasmes sexuels masculins. Beaucoup d’hommes ont tendance à voir dans la femme tendre une maman, et à réserver leurs fantasmes à la femme dure, autrement dit la putain, par définition femme d’argent et de pouvoir. C’est douloureux à vivre pour la femme à la fois tendre et désirante, qui aspire à être pour l’autre un objet de désir aussi complet qu’il l’est pour elle, en lui faisant dépasser la dissociation maman / putain qui l’exclut d’une partie de sa sexualité. C’est le sujet d’"Histoire d’O", qui est un livre merveilleusement écrit, alliant la beauté de la forme à la profondeur du fond. Laisse-moi rêver, ce n’est qu’un texte de chanson, c’est forcément concis, ça va beaucoup moins loin ... Quand j’étais jeune, un astrologue m’avait parlé de mon masochisme et je m’étais récriée, je n’avais pas compris ce qu’il avait voulu me dire. Avec le temps, j’ai réalisé que je m’étais un peu trop souvent mise dans des situations de frustration, mais je crois que j’ai eu, avant tout, un besoin d’intensité qui était satisfait par les états de désir. Or pour qu’il y ait désir, il faut une certaine distance de la part de l’autre : on ne peut pas désirer ce qui est à vos pieds. L’amour-désir et la part de souffrance qui l’accompagne ont toujours constitué mon principal moteur, alors que, quand il m’est arrivé d’éprouver le type de souffrance que le masochisme est censé rechercher, je n’avais plus de moteur du tout !

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